Berlingot et Compagnie

Encalminés dans la mélasse.

Si un bon connaisseur du cinéma français d’antan me cite dans la conversation les noms de Fernandel et de Charpin en les liant, je vais sans doute engager le dialogue en évoquant le merveilleux Schpountz de Marcel Pagnol où ces deux grands acteurs interprètent certaines des scènes les plus remarquables, les plus drôles, les plus émouvantes qui se puissent ; si on me pousse un peu dans mes retranchements, je citerai aussi La fille du puisatier du même auteur où, derrière l’ombre immense de Raimu, l’un et l’autre tiennent solidement les seconds rôles. Et si on me traque jusqu’au bout, je pourrai même trouver au fin fond de ma mémoire Ignace de Pierre Colombier, qui n’est pas un film déplaisant dans le genre.

En d’autres termes, si on me propose les deux acteurs en paquet cadeau dans ce que je peux penser être un gentil film de samedi soir, je prends ! Et ceci bien que ce soit réalisé par le pâle Fernand Rivers, parce que dans ce genre de spectacle, on n’attend pas des images superbes et un montage innovant, simplement un bon moment. Et aussi parce qu’on voit qu’il y a au générique des noms qu’on aime bien : la grande FréhelSuzy Prim et surtout, pour les rôles masculins, Édouard DelmontJean Brochard, voire Jean Temerson. Et enfin parce que sont bien sympathiques les films qui mettent en scène un couple de vieux garçons amis pour la vie (comme, par exemple, Le mort en fuite d’ André Berthomieu, avec Jules Berry et Michel Simon).

Entre ne pas s’attendre à grand chose et être effaré par la nullité d’un film dont absolument rien n’est à sauver – y compris le jeu des acteurs qui sont en roue libre, qui font n’importe quoi et ne sont venus que pour toucher leur cachet – il y a un abîme : les gentils petits navets sans prétention donnent souvent au spectateur bienveillant l’occasion de relever ici et là un petit bout de nostalgie : une rue qu’on reconnaît et qui a bien changé en trois quarts de siècle, une pratique, une habitude qu’on avait oubliée et qu’en un instant on se remémore, une expression aussi heureuse que désuète, une rengaine qui demeure en tête, le joli sourire d’une starlette…

Là, rien du tout, que dale, nib de nib ! Le vide intégral, l’abomination de la désolation, l’apocalypse du néant. François (Fernandel) et Victor (Charpin) vendent des confiseries dans les fêtes foraines et ont recueilli une toute petite fille qu’ils ont trouvée ; pour avoir tenté de protéger Lisa (Josyane Lane), fille de la diseuse de cartes Bohémia (Fréhel) d’un souteneur sans scrupules (pléonasme), ils voient leur baraque incendiée. Leur vieil ami Courtepatte (!!) (Édouard Delmont) les embauche parmi ses lutteurs ; évidente catastrophe ; puis recherche d’emplois divers dans une sorte de musée des tortures, dans une entreprise de déménagement, etc. C’est accablant.

Fortuitement, ils font arrêter la bande de voyous (celle du souteneur, notamment) qui s’apprêtait à cambrioler la riche fofolle Mme Granville (Suzy Prim) ; mais ils sont confondus avec un fou qui s’est évadé d’un asile (dirigé par Jean Brochard qu’on a peine à retrouver dans un rôle gloussant et ridicule, alors qu’il a tant de talent) ; ils manquent de se disputer pour les beaux yeux de la soubrette Thérèse (Monique Bert) qui, soit dit en passant, n’est pas si gironde que ça mais, Dieu merci, se réconcilient et retrouvent une boutique de berlingots.

C’est complétement idiot, mais l’idiotie, dans le genre, n’est pas toujours dirimante. Ce qui l’est, c’est l’ensemble. Je ne sais comment mieux faire que me répéter : rien à sauver !

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