Bob le flambeur

Du crépuscule à l’aube…

Ce qui est très frappant dans ce film, c’est le mélange parfaitement maîtrisé et séduisant d’un naturalisme, d’un réalisme qui donne quelquefois l’impression qu’on assiste à un reportage sur le Pigalle des années Cinquante, et d’une intrigue enrichie de tous les poncifs romanesques possibles et imaginables sur la pègre : addiction au jeu, amitiés viriles entre truands, mollesse véreuse de la petite garce, relation père/fils de l’ancien et du jeune marlou, relations bizarres entre le policier et ses proies, trahison et duplicité du salopard, etc.

J’imagine assez que Melville s’est pris au jeu en réalisant cette sorte d’exercice de style, efficace et chatoyant.

On peut aussi très bien comprendre que la Nouvelle Vague ait été intéressée par ce film, y compris par le jeu et le ton volontairement (?) décalés, voire faux des principaux protagonistes…

24 février 2006

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Philippe Labro, dans l’intéressant supplément du DVD, dit excellemment que Bob le flambeur n’est pas, contrairement à ce qui a été abusivement dit, un chef-d’œuvre, mais un film plein de poésie et de charme. Je trouve qu’il a bien raison.

L’intrigue, si on veut absolument qu’il y en ait une, est plutôt pâlotte et sans grand intérêt. D’ailleurs Melville s’en débarrasse comme il peut dans une conclusion invraisemblable et bâclée : le casse du casino de Deauville n’a rien à voir avec celui de Du rififi chez les hommes de Jules Dassin ou de Mélodie en sous-sol d’Henri Verneuil (pour n’évoquer que des exemples français contemporains) ; il n’est qu’à peine représenté dans sa préparation, et il tourne court si vite dans sa réalisation qu’on n’a pas le temps d’y entrer.

Roger Duchesne, dont j’apprends donc qu’il a fricoté avec l’Occupant entre 40 et 44 (et, de fait, la liste de ses tournages à cette époque est impressionnante) et qui fut un des amants de Viviane Romance, est catastrophiquement mauvais : ton faux, jeu décalé, quelquefois même allure hors de propos. C’est dommage, parce qu’il a une belle gueule fatiguée de truand revenu de tout.

Les dialogues, d’Auguste Le Breton, n’ont pas non plus beaucoup de qualité. Il sera beaucoup pardonné à ce transfuge de la Haute pègre pour avoir importé sur nos écrans des titres aussi magnifiques que Du rififi chez les hommes précisément ou que Razzia sur la chnouf (sans compter Le clan des Siciliens) ; mais le dialoguiste n’atteint pas les sommets du romancier.

Qu’est-ce qui reste, alors dans Bob le flambeur ? Beaucoup de choses tout de même : à part le sale marlou Marc (Gérard Buhr), tous les seconds rôles sont excellents, en premier lieu Roger, le vieux pote fidèle de Bob, l’ouvreur de coffres-forts (André Garet), le commissaire de police brave type (Guy Decomble) et l’encore bien belle Yvonne, patronne du bistrot de Pigalle (Simone Paris, qui fut une des maîtresses de Sacha Guitry). Une note spéciale pour la très jeune Isabelle Corey, qui avait 17 ans au moment du tournage et qui joue avec une impudeur impressionnante et un aplomb total le rôle d’Anna, gamine indifférente, lointaine, absente : parfaite.

Puis la musique, écrite principalement par Eddie Barclay, qui n’était donc pas seulement l’homme qui collectionnait les mariages et les fêtes tropéziennes en blanc ; c’est un jazz las, fatigué, tel qu’on peut le jouer et l’entendre à la fin d’une nuit passée à traîner dans les bars. Et c’est d’ailleurs ainsi que commence le film : ces images d’aube sur Montmartre, sur le désert de Pigalle où passent en frissonnant, au milieu des arroseuses municipales, les travailleurs du petit matin et les fêtards de la nuit…

Melville, qui était l’un d’entre eux, filme, quatre ans avant Deux hommes dans Manhattan, qui est le pendant new-yorkais de l’errance nocturne parisienne de Bob les pavés mouillés, les éclairages livides, les néons aveuglants, la médiocrité, finalement, d’un monde qui semble clinquant et qui n’est que miteux. Pigalle y apparaît dans sa vulgarité infinie. (ah ! l’invite racoleuse sur la façade d’une des boîtes : Les nus les plus osés du monde) ; le malheur est qu’elle semble éternelle.

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