Boule-de-Suif

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Malgré d’assez gros sabots…

Oui, malgré d’assez gros sabots sur quoi je reviendrai, ce film de Christian-Jaque qui mixe avec une certaine habileté deux nouvelles très connues de Guy de Maupassant, Boule-de-Suif, donc et Mademoiselle Fifi, est un bon spectacle, réalisé avec cette honnêteté qu’avaient les cinéastes de la Qualité française jusqu’à cette expression devienne comme un gros mot dans la bouche des petits messieurs de la Nouvelle vague (petits messieurs, malgré le talent de certains).

Gros sabots, parce que, tournant en 1945, et se référant à deux récits censés se dérouler pendant la Guerre de 1870, Christian-Jaque n’a pas mégoté dans la métaphore résistante, au travers de la veulerie collaborationniste et de la sauvagerie boche. Et parallèlement, il a dressé, devant les personnages antipathiques, deux belles figures que, par rapport aux textes du nouvelliste, il a embellies, voire transformées et idéalisées.

Évidemment, ça n’est pas pour retirer de l’intérêt au film, mais, c’est assez amusant de le constater : dans les deux récits originels, Boule-de-Suif (et Rachel, qui est son pendant dans Mademoiselle Fifi) sont des prostituées assez communes et guère jolies (et le nom même de Boule-de-Suif le marque assez !), bouffies et rougeaudes… Rien qui rappelle la magnifique Micheline Presle ! Mais les exigences de la production voulaient sans doute cela !) ; il est vrai que, dans le segment La Maison Tellier du Plaisir, la sublime Danielle Darrieux incarne Rosa-la-Rosse (la Rosse, non pas la Rose !) décrite comme une petite boule de chair tout en ventre avec des jambes minuscules !

Et puis Christian-Jaque et son adaptateur et dialoguiste, Henri Jeanson transforment complètement le personnage de Cornudet (Alfred Adam), le républicain exalté, qui, chez Maupassant est tout aussi ridicule et malfaisant qu’aristocrates et bourgeois, en grand honnête homme, image du résistant et du patriote impeccable. Et de la même façon, le réalisateur accentue la bassesse d’âme de tous les autres, qui ne sont que des minables sans envergure chez l’écrivain.

Tout cela n’est que vétilles, puisqu’une adaptation est le plus souvent une trahison ; là, la trahison est assez heureuse ; la jonction des deux contes se fait de manière un peu artificielle (guet-apens de francs-tireurs : toujours la référence aux maquisards, à la Résistance), mais assez habile.

Outre le charme extrême de Micheline Presle, une mention spéciale est à décerner à Louis Salou, qui interprète l’officier prussien immonde, fascinant de méchanceté, arrogant, portant au plus haut les ignominies allemandes, destructeur par ennui et par plaisir des oeuvres d’art, des bibelots de prix du château où les officiers cantonnent. Salou est mort très jeune, à 46 ans, ce que l’on regrette d’autant plus qu’il a joué un remarquable comte de Montray – l’amant riche de Garance (Arletty) des Enfants du Paradis – et un excellent Ranuce-Ernest IV, persécuteur de Fabrice del Dongo (Gérard Philipe) dans l’honnête adaptation de La chartreuse de Parme par Christian-Jaque.

Ah ! et puis, si vous voulez rire un brin, appréciez l’éternel Robert Dalban en sergent prussien, ce pour quoi il semble fait comme moi pour visionner une intégrale de Godard ! Impayable !

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