Calmos

Sombres délices !

On s’apercevra sûrement un jour que Calmos est – de loin ! – le meilleur film de Bertrand Blier, comme Canicule est le meilleur film d’ Yves Boisset. Pour ces tâcherons qui n’ont jamais fait dans la finesse, autant aller jusqu’au bout, ravager le bon goût, dévaster les règles et se retrouver à tu et à toi avec une seyante grossièreté qui fonctionne.

Calmos est un film d’une révoltante mauvaise foi, dont la dernière demi-heure est pitoyable et les images finales bâclées et accablantes ; Calmos est un film dont quelques séquences – la rencontre de Paul (Jean-Pierre Marielle) et d’Albert (Jean Rochefort), leur installation dans une fraîche campagne, toutes les interventions de l’abbé Émile (Bernard Blier, grandiose), les retrouvailles de Paul et de sa femme Suzanne (Brigitte Fossey) – sont magnifiques et jouissives. Allez vous faire, avec ça, une opinion objective !

Je suppose qu’il faut avoir un peu connu tout ça, le bonheur de ne pas avoir à bavarder et pourtant de se savoir proche, les feux de camp, la contemplation hypnotique des flammes et des braises, les marches dans la campagne, l‘ordre serré, le crapahut, la goutte du chef, la gnôle qui tord les boyaux, le Picon-bière, la voluptueuse sensation de n’avoir rien à prouver, de ne pas devoir faire le coq, pour apprécier Calmos ; j’admets volontiers que tout ça n’est pas extrêmement raffiné et que ça ouvre de sacrés aperçus sur la nature des mâles, mais pas davantage que serait une exploration des bavasseries femelles, à base de confidences sur les maladies, de recettes d’amaigrissement et de jacasseries sur les mecs ; à une époque de féminisme agressif, Blier démontrait seulement que les deux sexes ont tout intérêt à se fréquenter, pour se bonifier à leur contact réciproque.

Si ce film épouvantablement mauvais n’était que raté, il va de soi, que, trente-six ans après sa sortie, on n’en parlerait plus du tout et on l’aurait enterré au cimetière des très nombreux ratages d’un Blier à l’étrange, tortueuse carrière ; sa prodigieuse grossièreté, ses outrances quelquefois dégueulasses (le sexe, en gros plan, de la star du porno Claudine Beccarie au tout début du film, la séquence finale, du même esprit), le ridicule de ses troupeaux d’Amazones vont pourtant de pair avec des plans d’une miraculeuse douceur – la campagne, au soir – et les décors magnifiques du Causse de Séverac, en plein Rouergue. À noter dans la séquence où les protagonistes sont enfermés dans une clinique, transformés en chauds-lapins de laboratoire, la présence totalement incongrue, en bacchante nue et déchaînée de Dominique Lavanant, fort reconnaissable !

Il faut regarder Calmos en décrochant de toutes les notions d’ordre, de mesure, de décence inculquées, en se laissant simplement aller ; que ce ne soit pas toujours ragoûtant est une chose ; n’empêche que ça n’est pas toujours désagréable…

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