Cinq colonnes à la Une

Un monument !

Voici un énorme coffret composé de quatre DVD thématiques – 12h40 en tout – plus un disque de suppléments qui comprend notamment La section Anderson de Pierre Schœndœrffer, Oscar du documentaire en 1968, sur quoi je reviendrai sur un autre fil.

12 heures 40, ça se regarde en plusieurs soirées, bien sûr, mais il vaut la peine de ne pas trop segmenter dans le temps chaque disque, consacré à quatre thèmes, et dont les reportages, choisis par Michèle Cotta sont présentés dans leur ordre chronologique de diffusion, ce qui n’est pas sans importance.

Cinq colonnes à la une fut une émission unique, qui n’a duré, finalement, qu’une petite dizaine d’années, de 1959 à 1968, mais qui demeure mythique grâce à la variété des sujets abordés, l’approfondissement, quelquefois rude, imposé par les journalistes aux spectateurs, ou l’idéale durée des reportages, jamais expédiés à la va-vite, mais jamais non plus pesants ou interminables.

C’était un modèle de rigueur et d’exigence, à une époque où le parc des téléviseurs atteignait en France, son premier million, où l’on sentait d’ailleurs confusément que ce qu’on appelait alors l’étrange lucarne allait prendre une place immense dans la vie de chacun.

Quatre thèmes, donc, quatre DVD :

  • Les temps qui changent, c’est-à-dire les mutations en profondeur de la France, avec des reportages sur des mariages traditionnels, les voitures, les vacances, le déménagement des Halles, mais aussi la fin des bidonvilles et les débuts du féminisme.
  • Les stars, avec une kyrielle de reportages sur Bardot (la part de la lionne), Édith Piaf, Georges Brassens, Françoise Sagan, Gilbert Bécaud, Françoise Hardy
  • L’Algérie, en deux pôles très clivés : la guerre, d’abord, puis, après le 1er juillet 1962, les rapatriés.
  • Les États-Unis, autour de trois thèmes, Les années Kennedy, qui firent rêver beaucoup de nigauds, I had a dream, consacré à la lutte des Noirs pour l’égalité raciale, et le bien nommé Cauchemar vietnamien.

L’attention qu’on portera aux quatre DVD varie évidemment en fonction de l’intérêt que l’on porte aux sujets abordés et aux personnages évoqués.

J’admets bien volontiers que je n’ai pas beaucoup accroché au disque consacré à l’Amérique, à ses démêlés avec son président assassiné, ses minorités et sa folie vietnamienne (dont le bourbier fait furieusement songer, toutes choses égales par ailleurs, à certain enlisement en Afghanistan et en Irak aujourd’hui), même si certains reportages, notamment celui sur Harlem présentent des images très étonnantes, quelquefois belles comme tout, ou très cocasses (le défilé de mannequins, les prêches évangélistes).

Dans le disque consacré aux stars, je n’ai pas été très surpris de revoir des images qui font le miel de beaucoup des rétrospectives qu’on voit et revoit quotidiennement, surfant sur la mode de la nostalgie ; quelle que soit l’admiration que je porte à Brassens ou à Bécaud, j’ai déjà eu mon soûl de reportages sur ces grands interprètes ; et par ailleurs les hystériques yeux écarquillés d’Edith Piaf m’ont toujours autant agacé que les cheveux soigneusement gominés d’Enrico Macias.

Pour qui s’intéresse au cinéma, le long portrait de Brigitte Bardot dressé en quatre séquences est plus attrayant ; le premier présente Bardot en jeune maman attentive, auprès de Jacques Charrier, père de ce malheureux Nicolas indésiré, dont l’actrice écrivit il y a quelques années, dans ses Mémoires C’était mon fils. J’ai hurlé: « Qu’on me l’enlève!» «J’aurais préféré accoucher d’un chien. (voir ce lien http://www.liberation.fr/portrait/010121(..)) ; les trois autres tournent autour de films : La vérité, Vie privée et Viva Maria : excellente documentation.

Le DVD de la France des Trente glorieuses, dans la grande variété des sujets abordés, est extrêmement passionnant ; on est frappé de la qualité d’expression employée, par les journalistes, sans doute, mais aussi par les interviouvés, y compris ceux qui sont issus des milieux les plus modestes : il y a du respect mutuel, de la tenue, un effort pour se hausser au niveau supérieur, de faire honneur à son rang et à sa condition. Significatif d’une époque civilisée…

Écrivant ceci, je me repends : les images des bidonvilles de la banlieue parisienne sont terribles : on a l’impression que rien ou si peu a changé, depuis l’insurrection contre la misère prêchée par l’abbé Pierre en 1954 ; mais bon ! le mouvement est lancé : on va reloger ces pauvres gens dans des immeubles neufs, qui aujourd’hui sont les cités qui posent tant d’autres questions… La solution créée le problème…

Et, sans doute par sensibilité personnelle et goût de cette histoire, j’ai trouvé le disque sur les événements d’Algérie et leurs conséquences le plus passionnant : entre le premier et le dernier des six reportages (d’un quart d’heure chacun, en moyenne), de 1959 à 1961, il n’y a que deux ans : et pourtant le ton change, comme l’opinion publique a changé au cours de ces années cruciales. De l’évidence de la présence française à l’évidence du départ, il y a tout le drame. Les chics garçons qui rétablissent l’ordre, comme les baptise le reporter sont à peine différents des factieux soulevés du putsch d’avril 61. Quelle misère ! Car comment ne pas souscrire à ce propos qui n’est pas que de comptoir, d’un brave type d’un faubourg populaire, Nos ancêtres les Gaulois, qu’ils s’appellent Hernandez, Pappalardo ou Mohammed…. Le beau rêve de 1958 va s’achever dans le sang et la fureur, la folie incendiaire de l’OAS, les massacres des Européens d’Oran en juillet 62, le départ vers la métropole d’une foule incrédule qui sait qu’elle ne reverra jamais son pays…

Le volet sur les rapatriés, Européens ou harkis, est d’une grande hauteur de vue, et ses séquences sont souvent poignantes, parce qu’elles ne dissimulent ni la nostalgie éternelle, ni l’espérance de l’avenir. Et même la séquence sur ceux qui sont restés en Algérie, parce qu’ils ne sentaient pas possible de partir, parce qu’ils n’avaient pas peur, parce que leur vie était là, si pleine de résignation qu’elle est, donne la lueur d’un jeune coopérant qui est venu en Kabylie, enseigner et soigner.

Long message à proportion de l’exceptionnelle longueur du coffret commenté. Mais aussi de son exceptionnel intérêt.

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