Conversation secrète

La face d’ombre du monde.

Je ne suis pas si obtus, si buté, pas si mauvais bougre que ça. La meilleure preuve c’est qu’après m’être endormi naguère devant Conversation secrète, je me suis courageusement replongé dans un film que j’avais jugé obscur et emberlificoté. Il est vrai qu’à la deuxième vision, je l’ai trouvé tout autant obscur et emberlificoté, mais sans doute étais-je moins pompette et ai-je pu apprécier davantage la maîtrise dérangeante de Francis Ford Coppola, sa faculté à mettre en scène un monde gênant, empli de faux-semblants, de pistes troubles, de secrets absurdes, de non-dits et de tout le tremblement. On a pu mettre en parallèle ce film et le très médiocre Blow-up de l’ennuyeux Antonioni. Il y a un peu de ça, mais je songe aussi au film d’un bien plus grand réalisateur, Le locataire de Roman Polanski.

Même sensation de malaise, de quelque chose caché derrière les choses, de secrets sous les apparences de la normalité. Une très infime dissociation de la vie normale ; des gens d’une grande banalité qui vivent, à un moment donné, une histoire singulière.

Néanmoins l’activité du personnage principal, Harry Caul (Gene Hackman) est en soi assez bizarre : il est spécialiste de l’enregistrement dissimulé de conversations furtives qu’il espionne. Une sorte de détective privé qui, à la tête d’une petite équipe qui photographie incognito et écoute subrepticement les allées et venues de quidams qu’on lui désigne. Espionnage industriel, affaires policières ou, comme dans le film, histoire de tromperie matrimoniale. Lui n’a pas d’états d’âme : il donne à qui le paye ce qu’il a récolté, sans vouloir en connaître davantage.

Il concilie cela, qui est tout de même plutôt trouble avec un catholicisme proclamé et observé et avec des visites indéterminées à une amie blondasse et bébête, Amy (Teri Garr) qui aimerait bien en savoir un peu plus sur son compte. Il ne lui apprend qu’une seule chose : qu’il est musicien – saxophoniste – ce qui est vrai – et qu’il vit de ses cachets – ce qui est faux -. D’une méfiance obsessionnelle, méticuleux, précis, il est aussi méfiant de tout et de tous. Ainsi n’aime-t-il pas être reçu par Martin Stett (Harrison Ford) simple fondé de pouvoirs plutôt que par le patron de l’entreprise qui lui a commandé l’enquête. Voulant absolument le voir, il reprend, non sans mal, ses bandes magnétiques.

Il est perfectionniste et il n’est pas vraiment convaincu de la qualité d’une des bandes qu’il devait remettre à son commanditaire : un jeune couple, dans la foule du centre de San Francisco, qui se méfiait de tout mais n’est pas totalement parvenu à empêcher un enregistrement de ses propos. Et, en fouillant davantage le son, Harry Caul entend distinctement Il nous tuerait s’il le pouvait.

À partir de ce moment-là – qui, il est vrai fait songer à la démarche de Thomas (David Hemmings) dans Blow-up lorsqu’il commence à agrandir démesurément les clichés qu’il a pris – le cerveau bien organisé d’Harry commence à se mettre en surexposition. Et tout le monde construit autour de lui (il est tenu pour une des références du monde de l’écoute) s’écroule graduellement. Cauchemars, obsessions, terreurs, paranoïas. Et la fin du film où toutes les hantises surgissent est drôlement bien venue. C’est-à-dire bien angoissante.

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