God’s pocket

Crasseux bazar de Philadelphie.

Un film court, nerveux, rythmé qui pose d’emblée clairement les lieux et les personnages. God’s pocket est un quartier très pourri de Philadelphie. Philadelphie provisoire capitale des balbutiants États-Unis, Philadelphie qui fut prospère, mais dont le centre a été au fil des années abandonné par les classes moyennes fuyant la gangsterisation (plus de 400 homicides annuels ; avec ses 33 morts en 2022, Marseille joue très petit bras, non ?). Donc God’s country quartier minable, sali, rouillé et crasseux, très crasseux. Et habitants de la même nature, qui chapardent, trafiquent, se soûlent consciencieusement, n’essayent même plus de s’en sortir. Simplement de survivre au jour le jour en sachant bien que, sauf miracle qu’on n’attend même plus, la vie sera au moins aussi pourrie demain qu’hier.

Au milieu du ramassis d’éclopés, d’ivrognes, de cinglés, de brutes du coin, il y a un type qui n’est pas meilleur que les autres et qui, en plus, n’est pas du quartier ; car il y a une sorte de solidarité racailleuse, presque une fierté de faire partie du trou pourri : on sait que le voisin est une canaille presque prête à tout, mais comme on l’est soi-même, ça fonctionne. On ne s’aime pas mais on fait mieux que se supporter et, en ne manquant pas de s’insulter, on boit ensemble de la bière en quantité au bar délicieusement nommé Hollywood.

Le type pas meilleur qui n’est pas du coin s’appelle Mickey Scarpato (Philip Seymour Hoffman). Il est à peu près accepté par les gens du quartier parce qu’il est marié avec la beauté locale, Jeanie (Christina Hendricks, aux impressionnantes performances mammaires), par ailleurs mère de Leon Hubbard (Caleb Landry Jones), un garçon qu’elle a eu d’un premier lit, plutôt violent, plutôt méchant, plutôt déséquilibré, qui travaille sur un chantier. J’écris que Mickey est accepté par la communauté, mais ce n’est pas tout à fait vrai, d’une part, donc parce qu’il est étranger au groupe mais aussi parce qu’on le jalouse d’être le type qui a eu Jeannie. D’ailleurs il a l’impression diffuse qu’il ne mérite pas sa femme et qu’il ne la satisfait pas.

Tout le monde vit de combines plus que douteuses ; Mickey et son pote Arthur Bird Capezio (John Turturro) qui doivent de fortes sommes aux malfrats du coin, piquent un camion de viande et tentent de la fourguer ; c’est cocasse, sordide, dérisoire, pathétique, désespérant. Mais il va y avoir mieux.

Ce petit con de Léon, lancé dans une provocation raciste contre un vieil ouvrier noir de son chantier reçoit ce qu’il mérite : un bon coup de gourdin sur le crâne ; malheureusement un peu trop fort puisqu’il en meurt. Mais il est collectivement décidé qu’il n’y a pas eu de meurtre, mais un malencontreux accident.

Voilà les prémisses posées. À quoi on va ajouter la présence de Richard Shellburn (Richard Jenkins), un journaliste de grand talent, alcoolique et obsédé sexuel, de tout temps passionné par le quartier de God’s pocket et qui est chargé d’enquêter sur la mort un peu trop mystérieuse de Léon, que sa mère Jeanie ne croit pas du tout accidentelle.

En ayant fait bouillir tout cela dans la marmite, on obtient un film très attachant, naturellement très proche des dingueries majuscules des frères Joel et Ethan Coen, c’est-à-dire un mélange de drôleries, de drames, d’horreurs, de canulars, de fariboles. Ce n’est pas une mauvaise référence, même si les personnages n’atteignent pas de véritable dimension charnelle, essentielle et ne demeurent que des quasi personnages de dessins animés.

C’est baroque, amusant glaçant souvent. On rit, on frémit quelquefois, on est en tout cas toujours bien content de ne pas habiter à God’s pocket.

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