Daguerréotypes

affiche_daguerreotypes

Le vieux monde est derrière toi !

Comment vraiment appeler ces films d’Agnès Varda qui ne sont pas des fictions, comme le sont Cléo de 5 à 7, Le Bonheur ou Sans toit ni loi ?

Des documentaires ? Le mot m’évoque plutôt ces ennuyeux courts métrages des séances de cinéma anciennes, passés en première partie, avant les alors trop rares dessins animés, les Actualités et la publicité d’avant entracte… Et les documentaires de jadis, c’était plutôt des trucs mortellement ennuyeux sur la pêche au hareng dans la Haute-Baltique, ou l’irrigation dans le désert d’Atacama… On prenait notre mal en patience, sauf exception…

Mais L’Opéra Mouffe (la rue Mouffetard), Les demoiselles ont eu 25 ans ou Les glaneurs et la glaneuse n’ont rien d’ennuyeux, précisément, rien qui rappelle la défunte Télévision scolaire ; ce sont des instants de vie captés grâce à un sens miraculeux des détails, des visages, des attitudes, des mots, des lumières… Et de ce fait, le monde s’y recrée ; en tout cas, dans Daguerréotypes, qui montre et illustre les quelques dizaines de mètres de trottoirs du bout de la rue Daguerre, où Varda habite, en tout cas pour tous ceux qui ont connu ce monde finissant qui, à Paris, n’existe plus, et qui ne subsiste plus guère que, parcellaire et envahi, dans quelques villes de province. Un monde où des boutiques au nom désormais étrange vivent ou survivent dans un calme qu’on aurait juré éternel.

Droguerie, bonneterie, mercerie, quincaillerie, horlogerie… qu’est-ce qui peut bien subsister de tout ce petit commerce pittoresque et obligeant ? Bien sûr, en 2008, comme en 1977, rue Daguerre, il y a une boulangerie, et une boucherie, mais ce n’est déjà plus le même métier. Entre l’artisan qui allait lui-même choisir ses quartiers de viande à l’abattoir, celui qui, la nuit, pétrissait lui-même son pain et les boutiques d’aujourd’hui, qui sont de plus en plus des franchises ou des succursales multiples, on n’a plus l’impression de manger le même rosbif ou la même baguette…

Monde des bleus de travail, des blouses grises passées au dessus des vêtements de ville, des tabliers à petits carreaux, monde des couples qui s’étaient connus au bal du village et qui travaillaient ensemble depuis vingt, trente, quarante ans… Monde d’apparence immuable, mais qui, tout alentour, bougeait à grande allure (la tour Montparnasse, achevée en 71 ou 72 est à un jet de pierre de la rue Daguerre…).

Assez drôlement, la seule liaison avec cet univers mort, c’est l’épicier arabe. Faut-il que tout change pour que rien ne change ?

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