Décalage horaire

Robinet d’eau tiède.

C’est du cinéma qui ne laisse pas la moindre trace ; qui n’en a laissé aucune, d’ailleurs, depuis 2002 où le film est petitement sorti sur les écrans et dont on a peine à croire que quelqu’un, moins de vingt ans plus tard, puisse se souvenir. Et pourtant j’ai regardé ça sur un DVD édité en Russie où il y a donc eu des gogos pour s’y laisser prendre. Et pourtant aussi Décalage horaire n’a pas été tourné par un obscur débutant juste sorti de la FEMIS, n’a pas été interprété par deux jeunes comédiens balbutiants à peine issus du Conservatoire de Chalon-sur-Saône (ou de Pampérigouste, si l’on préfère).

La réalisatrice est Danièle Thompson qui avait remporté un certain succès avec La bûche, trois ans auparavant, mais qui surtout avait été la scénariste au cerveau cousu d’or des immenses succès de son père Gérard Oury : La grande vadrouilleLe cerveauLa folie des grandeurs et toute la troupe. Et les deux acteurs principaux sont des belles vedettes de l’époque du tournage, en 2002, Juliette Binoche et Jean Reno ; et en guest-star, dans un rôle trop bref, Sergi Lopez, qui avait crevé l’écran deux ans auparavant dans Harry, un ami qui vous veut du bien ; remarquez, ça s’arrête là et Lopez vite évacué, il ne reste sur l’écran que les précités, dont le talent, ni la présence ne sont pas en cause, mais qui se trouvent bien seuls sur l’écran. Qu’on y réfléchisse un tout petit peu, mais dans les grands films du cinéma français, même lorsqu’ils sont écrasés par… je ne sais pas, moi, un Jean Gabin, un Michel Simon, un Jules Berry, il y a toujours, toujours à leur côté des silhouettes, des dégaines, des trognes, des personnages qui donnent de la chair et de la vraisemblance au récit.

Là, rien. Pas du tout. Après tout pourtant n’est pas plus idiote qu’une autre l’histoire rocambolesque de deux passagers qui sont mal dans leur vie, dans leur être, dans leurs amours, qui se rencontrent fortuitement dans un aéroport. Et ceci à l’occasion d’une grève des aiguilleurs du ciel, engeance privilégiée qui apprécie de perturber la vie de tas de gens qui ne sont pour rien dans ses querelles et revendications. Hasards de la vie, des petits accidents domestiques (elle perd son téléphone portable dans la cuvette des toilettes ! mon Dieu, que c’est chic et rigolo !), des entassements dans une salle d’attente et, au fur et à mesure, engrenages qui serrent les deux protagonistes de plus en plus et les rapprochent de façon trop évidente l’un vers l’autre. On veut bien.

On veut bien et on reconnaît même avec plaisir de la qualité aux acteurs et la capacité de donner à leurs personnages un minimum de substance. Rose (Juliette Binoche), esthéticienne fragile et physiquement sophistiquée, tente de fuir en partant pour Acapulco un amant féroce et jaloux Sergio (Sergi Lopez). Félix (Jean Reno), cuisinier qui semble avoir fait fortune aux États-Unis va tenter de renouer avec son ancienne compagne qui vit à Munich et avec son père, cuisinier à l’ancienne avec qui il s’est brouillé.

Au bout d’une heure et demie (ou presque) tout entre dans l’ordre évident et archi prévisible. Ce n’est pas ça qui est ennuyeux : après tout on accepte sans tristesse d’être bon public. Mais ça s’est traîné sans inventivité, ni gaieté, ni esprit avec la lourde pesanteur des trucs réalisés pour la télévision et qui sont pourtant catalogués comme films. Le Moloch cinématographique français, son système de financement démentiel a encore frappé.

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