Dédé

Années folles, folles années…

Je sais bien que ce Dédé de René Guissart est l’adaptation cinématographique de l’opérette célèbre d’Albert Willemetz et d’Henri Christiné qui remporta un immense succès en 1921 et que le film date de 1935. Dans ces quatorze années, qui peuvent paraître bien proches, il y a tout de même un changement de monde. Et c’est pourquoi je titre cet avis Années folles, folles années. Après l’euphorie émerveillée de la victoire, de l’immense soulagement de voir terminée la boucherie et de la croyance que c’était la dernière, de l‘Après-guerre en quelque sorte, on est passé aux temps de la crise financière et de la montée des périls, à l‘Avant-guerre. Et pourtant toujours cette même insouciance, cette même inconscience qui faisait qu’à la veille du conflit, en 1938, 1939, on chantait Amusez-vous, foutez-vous de tout (Albert Préjean) ou Tout va très bien, madame la marquise (l’orchestre de Ray Ventura). À dire vrai, on est toujours sidéré lorsque, après coup, on voit la maisonnée danser sur un volcan.

Voilà qui peut donner l’impression que je vais évoquer cette charmante opérette filmée avec une humeur sombre. Point du tout ! Ce n’est évidemment qu’après coup qu’on se rend compte. Restons donc tout à notre plaisir de voir une comédie légère, superficielle, spirituelle, emplie de refrains délicieux et d’acteurs pleins de talent… Un vaudeville mis en images et reprenant cette spécialité très française de l’opérette, qui n’est plus tout à fait l’opéra-bouffe de Jacques Offenbach et pas encore la comédie musicale anglo-saxonne. Grande tradition née au 19ème siècle (Robert Planquette, Les cloches de Corneville, André MessagerPhi-Phi) et qui s’est perpétuée jusqu’au milieu du siècle dernier (les immenses succès de Francis Lopez au Châtelet avec Luis Mariano ou Georges Guétary).

Le film de René Guissart ne manque pas de moyens : des quantités de girls empanachées, les Bluebell girls et les moins notoires Parisian Shop Beauties (les unes et les autres à la cuisse plus courte et à la poitrine moins arrogante qu’aujourd’hui), quelques futures vedettes (Ginette LeclercSuzy DelairViviane Romance), de solides seconds rôles, (René Bergeron, qui ne fut pas cocu que dans le film puisqu’il s’acoquina avec Robert Le Vigan et fut interdit de tournage à la Libération, Baron filsLéonce Corne).Mireille Perrey, qui est bien séduisante en petite femme dont la vertu ne tient qu’à un fil assez mince. Et un trio majeur, assez symbolique de l’esprit de l’époque, Claude DauphinAlbert Préjean et, naturellement, délicieuse, enjouée, boudeuse et rieuse, Danielle Darrieux.

De quoi s’agit-il ? D’une histoire polissonne où le riche, très riche oisif André (Dédé) de La Huchette (Claude Dauphin), afin de pouvoir rencontrer et séduire Odette Chausson (Mireille Perrey), fortuitement rencontrée au Bal des petits lits blancs (grande soirée mondaine et œuvre de charité contre la tuberculose créée en 1921 et qui se perpétua jusque bien après la guerre) achète et fait aménager le magasin de chaussures en déconfiture dont est propriétaire le mari de sa belle (René Bergeron). La chose a d’ailleurs été faite à l’instigation d’Odette qui, fine mouche, sauve ainsi son couple de la faillite. Intervient à tout propos Robert Dauvergne (Albert Préjean), meilleur ami de Dédé, et viveur décavé qui prend la gérance du magasin et s’adjoint les services de Denise (Danielle Darrieux) qui va tomber amoureuse de Dédé.

On me suit ? Non ? Ça n’a pas grande importance puisqu’on sait qu’à la fin et après quelques péripéties rigolotes, tout s’arrangera au mieux. Et tout cela est très bien ponctué de trois ou quatre chansonnettes très réussies parmi quoi le célébrissime Dans la vie faut pas s’en faire, mais aussi Si j’avais su, évidemment, j’aurais agi tout autrement et le très amusant Pour bien réussir dans la chaussure… Tout cela est très entraînant, très bien rythmé, ça ne se prend évidemment pas au sérieux, mais ça donne beaucoup de gaieté.

Et puis – je gardais ça pour la bonne bouche, si je puis dire – la rare et délicieuse apparition de Danielle Darrieux en nuisette légère, très légère… Au contraire de – je ne sais pas, moi… des actrices de son époque, Viviane Romance ou Ginette Leclerc ou Edwige Feuillère, qui n’hésitait pas à tourner nue, Danielle Darrieux n’a jamais joué de son immense charme en le faisant aller vers le torride ; et il est d’autant plus sympathique, surprenant, amusant même si c’est très anecdotique (et bien chaste) de la découvrir en si petite tenue… C’était déjà son treizième film et elle avait à peine 18 ans…

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