Donnez-moi ma chance

Miroir aux alouettes.

Il est assez drôle de regarder un film où la partie vertueuse du cinéma de 1957 se moque moralement d’elle-même, même si l’affiche est assez racoleuse et si on entraperçoit l’ombre d’un sein nu. D’ailleurs le titre alternatif du film de Léonide Moguy est le plus explicite Piège à filles. Et le miroir aux alouettes dont j’affuble mon avis est bien celui qui fait briller les yeux romanesques qui imaginent que la vie d’artiste est un chemin de roses aux mille plaisirs et au sol lisse. Remarquez que ça ne touche pas que les jeunes filles et que l’admirable aventure du Schpountz de Marcel Pagnol montrait aussi cette fascination idiote ressentie, cette fois, du côté masculin.

Donnez-moi ma chance ne manque pas de qualités pour qui a la nostalgie d’une époque où jeunes gens et jeunes filles mettaient un petit peu de temps, même dans les milieux artistiques (donc censément débridés et libertins) à se tutoyer et à se lécher le museau dès la première rencontre. Le film présente un petit côté documentaire attrayant sur la galère, la géhenne de tout le petit monde obnubilé par les feux de la rampe, courant le cachet et tirant la langue dans les cours de théâtre dispensés par des professeurs forts en gueule et à la générosité aussi intense que leur amour de la scène. Le Louis Jouvet d’Entrée des artistes est là un peu imité, recopié avec presque du talent par Noël Roquevert et il ne manque pas même au spectacle l’image du jeune homme fou de théâtre, Serge (Roger Coggio), indifférent aux picaillons et aux triomphes comme devaient être, au moins au début, les moines-soldats du T.N.P.

Donc Nicole Noblet (Michèle Mercier), fille d’un austère Principal de collège (Georges Chamarat) d’une bourgade d’Indre-et-Loire et fiancée d’un sage architecte, Georges Martin (François Guérin) rêve devant les pages de Cinémonde et n’a d’autre ambition que de devenir une de ces vedettes qu’elle admire tant et tant. Sélectionnée pour participer à un concours de futures vedettes, elle monte à Paris. Au fait, il ne faut pas penser que la chose est invraisemblable : Marie-Josée Nat – qui figure d’ailleurs dans Donnez-moi ma chance – fut pareillement remarquée.

Un des bons aspects du film est le reportage presque documentaire sur le dur cheminement des apprenties comédiennes qui courent les agences de placement, au milieu de vieilles ganaches dans la dèche (on songe à la fois, toute proportion gardée, à La fin du jour et à Quai des Orfèvres) et des filles bien balancées prêtes à tout pour obtenir un rôle. Et comme dans Quai des Orfèvres d’ailleurs, il y a un photographe qui, dans son arrière-boutique réalise, pour un public d’amateurs, des clichés coquins. Naturellement dans ce milieu foisonnent les rapaces, les beaux mecs sans scrupule aucun comme Gilbert Arnaud (Ivan Desny) qui fondent sur les oiselles avec autant d’habileté que de voracité. Et puis il y a les avanies, les jalousies, les calculs des producteurs, les influences de toute nature, les manigances, les coups tordus…

Passons sur les péripéties, qui sont à la fois bien amenées et parfaitement attendues, ce qui est la règle du genre et du cinéma du samedi soir. Mais il faut noter une chose amusante. Le film est en effet un avertissement très moral aux oies blanches qui seraient tentées de venir courir leur chance à Paris : bien que, grâce à son talent et à sa beauté Nicole ait été retenue par un grand metteur en scène, Fournier (Jacques Eyser) pour jouer dans son prochain film, elle préfère renoncer à ce rôle et retourner dans sa calme cité provinciale avec son fiancé. Il n’est pas sot de penser qu’elle s’y enquiquinera prodigieusement et regrettera toute sa vie d’avoir été si sage.

Mais enfin personne n’est vraiment allé voir ce qui se passait dans le deux-pièces cuisine de Blanche-Neige après qu’elle a été réveillée et a épousé le Prince charmant. Et même si c’était un beau château, ça ne change pas grand chose…

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