Dracula (1931)

La dame en blanc.

Ma vieille passion pour les histoires de vampires n’avait jusqu’alors jamais effleuré le film qui en commence le récit au cinéma. Bien vrai, jusqu’à aujourd’hui je n’avais jamais vu ce Dracula de Tod Browning, si mythique, si stupéfiant, si originel avec le surprenant Bela Lugosi qui incarna le Comte vampire dans nos imaginaires jusqu’à ce que Christopher Lee lui ravît à bon escient la palme. Voilà que je découvre ce vieux film court (1h11) de 1931, aux heures pires de la grande dépression, lorsque, tous les jours étant de pires en pires, les studios d’Hollywood retraçaient des histoires épouvantables pour faire oublier un instant aux braves gens leur réalité vécue.

Je craignais, découvrant le film de Tod Browning, de tomber sur un machin ennuyeux, banal, parcimonieux. Et voilà que ce n’est pas du tout ça et que le réalisateur va chercher dans le merveilleux, l’insurpassable roman de Bram Stoker le substrat d’un récit haletant, rapide, structuré qui a dû donner aux spectateurs de 1931 leur content d’émotions fortes.

Il n’est pas forcément utile de recenser ici les différences qui séparent le roman de l’écrivain et les mille adaptations qui ont été faites de son récit. Les personnages bougent, changent, ne se positionnent pas forcément de la même manière. Et la fidélité au roman initial n’a, à dire vrai, pas beaucoup d’importance. Ce qui compte, c’est la prégnance du Mal et la richesse des efforts de ceux qui le combattent sans ménager leur peine. Dans tous les films qui s’échafaudent sur le mythe, il y a cette forme d’héroïsme de savants et de types formidables qui se présentent avec une sorte de courage démesuré devant les forces antagoniques. Peut-être les voit-on un petit peu moins dans ce Dracula-là : il y aura bien d’autres films où ils pourront se mettre en valeur.

1931, donc, à l’heure où le cinéma parlant n’a que quelques années derrière lui ; mais où le septième art a déjà acquis beaucoup de bouteille et sait faire entrer le spectateur dans des songes magnifiques ou terrifiants. Même si l’on voit bien que les images des austères aspérités de Transylvanie et les sévères parages du col de Borgo doivent beaucoup aux toiles peintes et aux décors artificiels, on s’y prend avec facilité. Et l’arrivée au château du comte vampire, dans une immense crypte où grouillent rats et vermines, où les marches des escaliers sont effondrées, où les arbres poussent leurs branches au travers des grandes baies transpercées, où règnent des toiles d’araignées géantes, est d’une grande qualité.

C’est sans doute là ce moment qu’est le meilleur du film de Tod Browning : qualité des décors angoissants, insupportables ; dès que l’on est en Angleterre civilisée, dès que le récit se complique (un peu trop, pour les connaisseurs de l’œuvre originelle), le film ronronne un peu trop, devient forcément prévisible. Je ne dis pas qu’il surprenait à ses débuts, mais à tout le moins il n’était pas banal, d’autant qu’il se différencie largement du roman en transformant les rôles : ce n’est pas Jonathan Harker qui vient rencontrer Dracula au col de Borgo, mais le misérable Renfield, le futur gobeur de mouches. Pourquoi pas, après tout puisque l’adaptation nous permet d’interpréter d’une nouvelle façon la soumission du pauvre être à la domination du Comte.

Bon, je m’égare ; il y a tant et tant d’orientations dans le mythe qu’on s’y perd aisément. Que dire d’autre ? Que Bela Lugosi est épouvantablement mauvais, maquillé, aux lèvres fardées, aux yeux exorbités? Malgré lui, le film a créé une mythologie. Mais le seul, le vrai, l’exemplaire Dracula, ce sera pour toujours la séduction glaçante de Christopher Lee, de la même façon que Le cauchemar de Dracula de Terence Fisher fixera pour l’éternité la grandeur du mythe.

Et voilà ; ça me donne envie de relire pour la neuvième, dixième, onzième fois le roman de Bram Stoker ; d’autant que sa traduction nouvelle, en Pléiade, est une pure merveille.

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