Dragons 3

Une nouvelle victime

Période de vacances scolaires. Il fait à Paris un temps si extraordinairement beau que tout le monde se félicite discrètement du réchauffement climatique. On se réjouit d’avoir avec soi et chez soi une grande petite fille de 7 ans, à qui on s’amuse d’apprendre des mots compliqués, thuriféraires ou coquecigrues, par exemple, inutilisables dans les cours de récréation,  et de lui enseigner la merveilleuse histoire de Jeanne d’Arc. Mais ça ne suffit pas et, après un passage tonitruant dans un jardin public à bonne dotation de toboggans et de manèges, on propose d’aller au cinéma.

Et là, il n’est pas question de ne pas aller voir Dragons 3 qui vient de sortir sur les écrans. On préférerait poursuivre la formation cinéphilique de la petite fille en lui passant, par exemple, Le château de ma mère, après qu’elle a découvert La gloire de mon père il y a quelques jours (la doxa nous obligera-t-elle bientôt à baptiser ces films La gloire de mon Parent 1 et Le château de mon Parent 2 ? Tout est possible, mais on va lutter !). Mais il faudrait s’asseoir devant la télévision alors que la salle de cinéma est toute proche…

Dragons 3 ? Voilà qui signifie qu’il y a eu Dragons et Dragons 2 ; l’idiot inquiet qui est au centre de moi-même se pose un instant la question de savoir s’il va pouvoir accéder à l’intrigue alors qu’il a raté les deux premiers opus de la série. Il doit y avoir des finesses, des raffinements, des subtilités qui nécessitent une connaissance minimale des prémisses et du déroulement de ce qui semble être une série à succès (on n’ose évoquer celles des Taxi et des Fast and furious). Mais enfin, il se répond qu’avec un minimum d’attention et compte tenu de l’âge moyen des bambins qui vont assister à la représentation, il devrait pouvoir toucher sa bille et saisir le gros du propos du réalisateur, au demeurant un inconnu de lui, Dean DeBlois.

Première surprise, à l’entrée dans la salle : il y a certes beaucoup d’enfants de moins de dix ans, mais aussi plusieurs adultes non accompagnés et même quelques couples. Qu’est-ce qui peut pousser des gens qui ont passé largement l’adolescence à aller voir ça ? Mystère insoluble.

De fait, lancé dans une sorte de jeu vidéo assez bien machiné – mais sans aucun rapport avec le cinéma, ni même le dessin animé – on saisit assez vite les tenants et aboutissants du propos : la lutte d’un groupe de Vikings amis des dragons contre des méchants agresseurs qui veulent débarrasser la Terre de ces créatures volantes et ignifères. Ça va à toute allure, ça bouscule et ça bascule, il y a de beaux décors, de ravissants couchers de soleil en images de synthèse et des personnages bien campés.

En suivant d’un oeil un peu distrait les cabrioles et trépidations du film, on commence toutefois à un peu réfléchir à l’idéologie qui sous-tend ce qui est proposé à nos chères têtes blondes. Et on la trouve assez détestable, finalement, sur deux de ses orientations.

La première est le désormais habituel basculement du statut de l’ennemi : de la même façon que, pour toutes les dernières histoires de vampires on est passé de la crainte et de la haine pour l’incarnation absolue du Mal à la pleurnicherie sur la pauvre petite victime jetée par une malédiction dont elle n’est en rien responsable vers l’apitoiement généralisé, de même ici on réhabilite les dragons, habituels objets de nos terreurs et adversaires privilégiés des héros de nos traditions. Saint Georges, Siegfried. et même Bilbo le Hobbit trucident à qui mieux mieux ces créatures de l’Enfer. Mais là, ce sont plutôt de braves bêtes.

La seconde est que les braves bêtes sont bien meilleures que les Hommes. Je n’irai pas tout à fait jusqu’à écrire que Dragons 3 est un manifeste de l’antispécisme mais je n’en suis pas loin : le méchant, le cruel chasseur de bestioles, Grimmel le Grave, le dit d’ailleurs très clairement en invectivant la petite tribu viking qui protège les sauriens : Vous mettez sur le même plan les hommes et les dragons. Et d’ailleurs la conclusion irénique du film est qu’un jour les dragons reviendront quand les hommes seront devenus sages.

Ce n’est pas pour demain la veille mais on reste tout de même confondu devant la niaiserie et la haine de soi qui émanent de ce salmigondis.

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