Duel

Les routiers sont sympas.

Il n’y a pas un nombre considérable de manières de ficher les chocottes au quidam qui, confortablement assis dans son siège aime à avoir peur. Je ne vois, en gros, que trois façons de faire. La première fait appel à nos terreurs oniriques, s’appuie sur l’angoisse émotive des cauchemars : appel aux créatures fantastiques, vampires, loups-garous, momies ressuscitées, insectes géants, goules, lamies, zombies, personnages issus de la nuit dont on sait bien, lorsqu’on est réveillé, qu’ils n’existent pas. La deuxième nous met dans des situations plus réalistes mais assez improbables, celles qu’on lit dans les journaux lorsqu’on raconte les abominables exploits des tueurs en série, des psychopathes monstrueux, des cinglés sadiques ; je rangerais volontiers dans cette catégorie les histoires qui font appel à la présence de Satan dans le monde moderne (et L’exorciste est le meilleur des exemples).

Reste le troisième visage de la peur : celui que nous avons tous plus ou moins connu dans notre vie quotidienne, le sentiment de malaise qui pourrait aller très bien vers la panique s’il se perpétuait un peu plus longtemps. Qu’est-ce que je place là-dedans ? Un fatras de situations très différentes mais éprouvées : quelqu’un qui s’est absenté un moment et qui ne revient pas (Frantic), une forêt où on s’est égaré et dont on ne parvient pas à sortir (Le projet Blair witch), un type qui vous cherche des noises et incompréhensiblement vous veut du mal.

C’est, évidemment, dans cette sous-catégorie que l’on va ranger Duel, la situation irrationnelle, incompréhensible dans quoi va se débattre un représentant en informatique assez banal et même médiocre (nous avons donc tous de grandes possibilités de nous y assimiler) qui va, l’espace d’une heure de temps, être poursuivi par un monstre de camion sur les routes presque désertes d’un coin de Californie.

Richard Matheson, d’un récit de qui le film est adapté par Steven Spielberg, raconte la genèse de son idée : le jour de l’assassinat du président John Kennedy, il roulait sur une autoroute lorsqu’il entendit la nouvelle à la radio : interloqué, stupéfait, il fit une telle embardée qu’il manqua causer un accident avec un gros camion qui était à proximité ; et le routier, furieux, le poursuivit et manqua le jeter au fossé ; pour un esprit aussi fertile que Matheson, il n’en fallait pas plus pour développer la suite. Mais, au fait, à qui de nous n’est-il pas arrivé de subir une queue de poisson très dangereuse d’un conducteur imbécile exaspéré parce que nous roulions trop lentement et l’avions empêché de nous dépasser ?

Toujours est-il que sur des prémisses minimales, Spielberg commence sa prolifique et très inégale carrière par un coup de maître ; il est d’ailleurs amusant de penser, mais ceci n’a qu’un rapport très diffus, que Robert Enrico est entré en cinéma par un autre petit chef-d’œuvre, un autre moyen métrage, La rivière du hibou ? Car, à l’origine, Duel, tourné pour la télévision (et ses nombreuses coupures publicitaires qui scandent visiblement le récit) ne durait que 70 minutes. Pour l’exploitation en salle, Spielberg a gonflé d’un bon quart d’heure sa réalisation, ajoutant quelques scènes qu’on peut juger aujourd’hui tout à fait nécessaires : la conversation entre David Mann (Dennis Weaver) et sa femme avec qui il a eu, la veille, une scène difficile, la séquence avec le bus scolaire en panne, celle devant le passage à niveau fermé, alors que le camion tueur arrive et qu’un interminable train peine à disparaître ; ces ajouts ne sont pas du tout inutiles et, même, donnent un peu de nerf et de variété au récit.

Car, si tout ça est très bien fait et très largement angoissant, on n’est pas mécontent pour autant que ça s’achève, tant le procédé commençait à être un peu répétitif du brave type un peu nigaud qui est piégé à chaque fois qu’il croit avoir semé le poids lourd fatidique par le retour du monstre anonyme. Spielberg tire ses effets jusqu’à leur bout. C’est très bien, mais il est temps que ça s’arrête, au bout du compte.

Est-ce que – dans l’idéal et hors de toute injonction du producteur – je n’aurais pas aimé une fin plus noire, tragique et différente ? Par exemple que, tout faraud devant le piège qu’il a habilement dressé et la carcasse du camion écrasée dans le précipice, le brave David Mann trébuche, se casse la figure et se fracasse le crâne dans le même précipice, de la même façon que, dans Le salaire de la peur, le sympathique Mario (Yves Montand) qui s’est sorti de toutes les embûches, dans sa pleine euphorie, rate un virage… Bien sûr que j’aurais préféré…

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