Étreintes brisées

Voilà pourquoi ton père est aveugle.

C’est bien toujours un peu pareil avec Pedro Almodovar,dont je ne suis pas très connaisseur mais qui me semble tourner un cinéma immuable : pictural et pittoresque sur la forme, picaresque et très sexualisé sur le fond. Ce qui n’est pas désagréable, d’ailleurs : on ne s’ennuie pas dans les fils de l’Espagnol ; mais on n’est jamais absolument emballé. Et l’extrême sophistication des histoires contées entraîne parallèlement, il me semble, l’oubli assez rapide de leurs ramifications et de leurs invraisemblances.

Si on évoque devant moi Étreintes brisées dans quelques mois, voire dans quelques années, je me rappellerai peut-être que le personnage masculin principal, le réalisateur Matteo Bianco (Lluís Homar)s’est appelé, après être devenu aveugle, Harry Caine et qu’il s’est reconverti en scénariste, sous la houlette de Judit Garcia (Blanca Portillo), qui a été jadis sa maîtresse et demeure son agent, lui servant à la fois de mère, de sœur et de financière.

Matteo/Harry a de tout temps été un homme à femmes et l’est demeuré malgré sa cécité ; sans doute dégage-t-il un étrange et puissant magnétisme. Et parmi les premières scènes du film, il y a une partie de jambes en l’air avec une très jolie fille (Marta Aledo) qu’il a rencontrée par hasard, qui a fait traverser la rue au pauvre aveugle et qui ne résiste pas bien longtemps à sa fougue. Mais cette rencontre de fortune n’est pas la plus importante de sa vie : la plus belle, quinze ans avant l’immédiateté du film, c’est l’éblouissement qu’il a ressenti en découvrant Magdalena Lena Rivero (Pénelope Cruz) venue mendier un rôle dans un film comique intitulé Filles et valises qu’il a du mal à financer. Comme Lena est la maîtresse du richissime homme d’affaires Ernesto Martel (José Luis Gómez), mais de très loin sa cadette, les choses s’arrangent.

Martel va devenir le producteur du film, imposer Lena, mais aussi son fils, Ernesto junior (Rubén Ochandiano) dont l’évidente inclination homosexuelle exaspère son père qui ne sait comment s’en débarrasser : le garçon étant un vidéaste compulsif, son père le charge de réaliser le making-off du film.

L’évidence est que le metteur en scène et la jeune actrice vont engager une histoire passionnée. Ernesto, qui est très loin d’être un imbécile, comprend bien vite qu’il y a anguille sous roche et que sa trop belle maîtresse ne le supportera plus longtemps. C’est ainsi, c’est dévastateur, déprimant, accablant, on ne l’admet pas, on veut tout faire pour lutter contre la réalité qui s’impose. N’empêche que la déconfiture est cinglante, absolue, désespérante.

Mais ce n’est pas Ernesto Martel qui sera à l’origine de l’accident de voiture qui coûtera sa vie à Lena et ses yeux à Matteo, qui vivent une histoire divine à Lanzarote, l’île volcanique des Canaries où ils se sont réfugiés : c’est le hasard, la malchance, la vie.

Tout cela est assez romancé, mais n’est pas mal du tout : ce qui l’est moins c’est la marqueterie improbable, que je renonce à conter, est qui est bâtie sur les vieilles recettes du feuilleton, avec révélations et coups de théâtre.

Ce n’est pas mal, je le redis, mais ce n’est pas d’un bien grand niveau, tout de même.

 

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