Ève

eve

Un film (trop ?) intelligent.

Évidemment, pour qui le découvre – et c’est mon cas ! – Ève est un régal d’intelligence, de sophistication et de brio, une histoire cruelle contée avec une aisance époustouflante, où chacun des rôles (tous admirablement tenus) est nécessaire, où, malgré la durée (deux heures et quart), aucune image n’est inutile, où le récit se déroule dans une continuité, une fluidité très professionnelles…

L’insidieuse prise de possession par Ève (Anne Baxter) de la vie de Margo (Bette Davis) si peu vraisemblable qu’elle est, lorsque le mot Fin apparaît sur l’écran, est si bien menée, les soupçons et les méfiances qui s’accumulent dans l’entourage de Margo sont si habilement éveillés et conduits qu’on a vraiment envie de crier Bravo l’artiste ! à un Joseph L. Mankiewicz au sommet de son art, comme on le ferait à un prestidigitateur de génie…

C’est peut-être là, pour moi, que le bât blesse un peu : tout en admirant la structure, les dialogues, les acteurs, le cheminement de l’histoire, je ne suis pas totalement entré dans l’œuvre, la regardant un peu de l’extérieur, comme si, spectateur des coulisses d’un théâtre, j’en voyais les décors et leurs artifices… Ainsi cette élégance de mise en scène qui fait s’achever Ève sur l’image de la jeune fille Phoebé (Barbara Bates) aux dents qu’on devine interminables, malgré son adorable sourire, se parant dans un miroir la reproduisant à l’infini de la robe de scène d’Eve, comme celle-ci s’était auparavant parée de la robe de Margo : c’est spirituel et évident, même, mais c’est un procédé qu’on attendait…

Ayant dit mes (courtes) réserves, je m’empresse d’ajouter que c’est merveilleusement ironique et drôle, cruel de façon charmante ; les méchants y sont finalement malheureux, Ève, donc, et le critique fielleux et distingué, Adison DeWitt (George Sanders, dont je me demande si ce n’est pas le meilleur rôle, avec l’Alexander de Voyage en Italie), et l’amour conjugal résiste (à peu près) aux orages, qui sont d’autant plus forts que c’est là un milieu d’artistes, habitués à brûler la chandelle par les deux bouts…

Quelques remarques amusées :

  • Le film s’ouvre par la cérémonie de remise du prix imaginaire Sarah Siddons, qui, dit le commentaire ironique, est moins connu, mais beaucoup plus important que le Pulitzer, ou certain prix remis par une association cinématographique ; les électeurs des Oscars n’en ont apparemment pas voulu à Mankiewicz qui gratifièrent Ève de six récompenses !
  • Ce n’est pas le premier film, mais, peut-être un des premiers rôles où la jeune Marilyn Monroë a pu montrer son époustouflante beauté… Cela dit, elle joue déjà les gourdes décoratives, diplômée du Conservatoire de Copacabana, ce qui ne doit pas aller très loin, même pour qui aime le Corcovado…
  • Un amateur distingué du film pourrait-il me dire s’il a ressenti l’impression d’un clin d’œil un peu hardi du réalisateur, dans la scène suivante : Karen (Celeste Holm) et son mari, Lloyd Richards (Hugh Marlowe) sont bourgeoisement (et étasuniennement) couchés dans des lits jumeaux (le Code Hayes fonctionne un max, en 1950) ; le téléphone sonne : c’est une amie d’Ève qui, l’air affolé, dit à Karen qu’Ève ne va pas bien ; Lloyd, réveillé, décide d’aller la réconforter ; et c’est cette nuit-là qu’ils parleront jusqu’au matin et qu’Ève décidera Lloyd à quitter sa Karen. Je répète que les deux époux couchent dans des lits séparés. Mais, naturellement, l’appel au secours est un subterfuge, et l’amie d’Ève , après qu’elle a appaté Lloyd, raccroche avec un sourire pervers ; elle fait un signe de succès à Ève, qui attendait le résultat de la manigance, assise sur les marches de l’escalier (il y a un téléphone par immeuble, au rez-de-chaussée) et les deux femmes remontent les marches, enlacées… Est-ce qu’il n’y a pas une allusion sexuelle assez explicite ? Je livre ceci à la sagacité et à l’interprétation de tous….

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