Few of Us

Eureka !

Je me suis souvent dit, dans ma longue carrière de cinéphage, qu’il devait bien exister quelque part des films plus prétentieux, plus ennuyeux, plus soporifiques que ceux d’Ingmar Bergman ou de Michelangelo Antonioni que je tiens, avec une mauvaise foi indéniable, pour des enquiquineurs patentés ; et cela alors (que je sois sincère, pour une fois) qu’il leur est arrivé de tourner des trucs à peu près regardables. Eh bien voilà que j’ai trouvé l’insurpassable, l’introuvable, l’abominable long métrage devant quoi je viens de passer 1h39 de ma vie en me demandant à chaque minute si je n’étais pas un peu cinglé de perdre ces minutes là, compte tenu du peu de temps qui me reste à passer sur cette vallée de larmes.

J’ai coutume, pourtant, de me méfier des cinémas qui sortent un peu beaucoup de mon orbe mentale et mes préventions contre les films japonais ou chinois ne sont pas près de s’éteindre. Alors qu’est-ce qui m’a pris de ne pas me refuser à un film lituanien ? Je n’ai rien contre (ni pour, d’ailleurs) cette lointaine contrée baltique, mais enfin, c’était encore la vieille Europe rassurante, me disais-je. Le nom du réalisateur, Sharunas Bartas, m’était tout à fait inconnu, mais après tout il faut aussi donner sa chance aux débutants !

Ce n’est qu’après le visionnement du film que j’ai constaté, grâce à Wikipédia que ce garçon (né en 1964) était considéré par certains comme un des plus grands cinéastes de notre temps, qu’il a eu droit, en 2016 à une rétrospective intégrale de son œuvre (une dizaine de longs métrages) au Centre Pompidou et une rebelote en 2018 à la Cinémathèque. Présenté comme l’avant-garde du cinéma d’auteur, il est donc tout à fait dans les petits papiers des professionnels de la profession (DesplechinPascale Ferran, etc.).

Remarquez, si j’avais été un peu malin, j’aurais dû me méfier du titre, Few of Us. Toujours après visionnage, comme je ne connais pas la langue anglaise, j’ai fait appel au traducteur de Google qui m’a appris que ça voulait dire Peu d’entre nous. Voilà quelque chose qui aurait pu m’éclairer, si j’avais eu la précaution de regarder avant.

Œuvre magnétique qui fait dialoguer visages et paysages, dit un admirateur, le film se passe du côté d’Irkoutsk, en pleine Sibérie, dans le village d’une tribu nomade, d’origine turque, dont la langue, le tofalar est en voie d’extinction. Remarquez, ce que je vous en dis là, je le dois aussi à notre amie Wiki, aucune information, aucun carton explicatif n’étant fourni au spectateur. Et de la même façon le brave garçon qui a rédigé l’article sur l’encyclopédie participative m’a fait saisir que le film, sans dialogue, présente dans des paysages préservés et des intérieurs dénudés des plans conçus comme des tableaux et a même donné en trois lignes, à quoi je vous renvoie, le fil directeur du récit.

Récit qu’il n’y a pas, au demeurant. Amis qui avez la faiblesse de me lire, sachez qu’il n’y a rien d’autre dans ce film que des plans fixes d’une longueur éprouvante sur une contrée aride, enneigée souvent, toujours inhospitalière. Paysages gris, bruns, bleuâtres, ternes ; terre sans grâce au sol pelé. D’interminables gros plans sur des visages burinés et crasseux. Une belle fille (Yekaterina Golubeva), qu’on a vue au début dans un hélicoptère qui survole la région, se retrouve dans le village, dans une maison qui est un taudis.

Film sans dialogue, a-t-on dit ; quelques bruits de la nature, le brouhaha rare de gens en arrière-plan, une scène de beuverie accompagnée d’accordéon. Aucune explication aux gestes et aux brutalités filmées. Des personnages entrent dans le champ, en sortent, y reviennent. Que sauver ? Un ciel nocturne où s’étirent des nuages devant une lune malade. Ça ne suffit pas. J’ai vu bien de mauvais films dans ma vie, mais de tels monuments de prétention…

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