Géant

L’État de l’étoile solitaire.

Trois heure vingt de film et pourtant l’impression, à la fin, que le réalisateur George Stevens, qui avait pris son temps au début pour poser la situation et les personnages, les présenter aux spectateurs, a tendance à bâcler son histoire. Parce que dans les derniers trois quarts d’heure, tout se précipite et s’amoncelle, parce que surviennent révélations et catastrophes, parce que le temps est comprimé, que les ellipses se multiplient et que le récit explose et, de ce fait, perd sa limpidité et sa cohérence. C’est-à-dire que l’ampleur de la chronique aurait pu justifier une ou deux heures supplémentaires pour mieux mettre en exergue et présenter l’étonnante mutation qui va faire passer le Texas des grands espaces sans fin, aux ranches de plusieurs dizaines de milliers d’hectares à la terre promise du pétrole.

Étrange contrée, au demeurant, jalouse de sa singularité, de sa particularité, le plus vaste (après l’Alaska) et le plus peuplé (après la Californie) des 50 États de l’Union, qui a toujours revendiqué une sorte d’autonomie. On m’a rapporté qu’en 1941, après Pearl Harbour, au moment où les États-Unis entraient dans la guerre, un officier texan avait, par télégraphe, demandé à son Gouverneur s’il était bien exact que le Texas allait se joindre pour le conflit à l’ensemble des autres. Ce qui est intéressant, dans le film, notamment, c’est cette sorte de sentiment d’être différent des autres, extrêmement bien mise en valeur lorsque le richissime propriétaire Jordan Bick Benedict (Rock Hudson), qui règne sur 20 000 hectares et on ne sait combien de milliers de têtes de bétail vient (par on ne sait quelle raison) acheter un étalon magnifique dans une famille patricienne du Maryland et y est d’emblée émerveillé par Leslie Linton (Elizabeth Taylor). La violence, l’évidence du coup de foudre réciproque entre les deux jeunes gens est parfaitement rendue.

Débute alors une histoire qui va s’étaler sur plus de trente ans. Adaptation difficile de la jeune femme, venue des contrées civilisées, encore un peu britanniques, de la côte Est aux paysages mornes, immenses, poussiéreux où des troupeaux immenses prospèrent on ne sait comment en broutant de rares touffes d’herbe. Rudes mœurs, rudes relations avec Luz (Mercedes McCambridge), la sœur de Jordan, qui voit arriver sans plaisir une étrangère au royaume qu’elle gouvernait jusqu’alors sans partage avec son frère, choc culturel dans la rencontre avec les voisins rustauds. Découverte de la misère des chicanos, des ouvriers agricoles mexicains du domaine, qui vivent – et meurent – dans des taudis et qui sont méprisés par tout le monde. Y compris par l’étrange Jett Rink (James Dean) sorte d’homme à tout faire du domaine, plutôt apprécié par Luz Benedict (dont on ne saura pas si elle était amoureuse), méprisé par Jordan, qui tombe en tout cas tout de suite sous le charme de Leslie.

Cette exposition, qui dure une heure à peu près, est très bien faite et subtile. Les personnages sont placés comme il faut dans le bouillonnement dont vont surgir les développements ultérieurs. Scansion de l’histoire : la mort de Luz, qui a voulu monter l’étalon fougueux que seule Leslie savait apaiser, mort qui laisse à Jett Rink quelques centaines d’hectares. Et dès qu’on voit qu’à la suite d’un pur hasard, le naphte monte des profondeurs des prairies de Jett, on comprend vite ce que sera la suite.

Je dois dire que je me serais bien arrêté là, ou presque là. On voit bien vite que Rink a désormais sous les pieds une fortune qui va le rendre bien plus riche que ne l’est Benedict et qu’il va vouloir écraser son ancien patron sous son opulence. Il recueille de fait autant de pétrole qu’il s’imbibe de whisky. On a compris. Mais – sans que la chose soit vraiment désagréable pour autant – George Stevens va enfoncer son récit dans le plus clinquant mélodrame. Et ceci à coup d’ellipses de plus en plus nombreuses qui feront surgir au devant de la scène les enfants Benedict, les choix qu’ils feront de leur vie, les mariages qu’ils feront et tout le bataclan.

La fin du film, vertueuse et molle, n’aura que fort peu de rapport avec les subtilité de son début : on croirait y voir un apologue écrit de nos jours sur le vivre ensemble ; je ne dis pas que je n’ai eu beaucoup de plaisir à voir Jordan/Hudson prendre la défense de sa belle-fille mexicaine Juana (Elsa Cardenas) et, malheureusement, se faire casser la figure par un gros crétin de restaurateur raciste ; et il est très bien qu’il voit dans la bonne bouille assez bronzée de son petit-fils, le muchacho, l’héritier du grand domaine. Tout cela est bien sympathique et bien moral, surtout après que le haineux Rinck/Dean, ivre mort, a explosé en vol (métaphoriquement) devant toute la société texane. Mais enfin on aurait apprécié un peu davantage de finesse.

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