Il boom

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Moins féroce qu’on l’espérait.

Je soupçonne un peu  de parti-pris  ceux qui crient au très bon film en collant un 5/6 à Il boom qui ne reçoit de ma part qu’un 4/6 assez complaisant et où je ne retrouve pas, malgré l’ingéniosité de l’idée de départ, la féroce et tendre cruauté de la comédie italienne.

Je ne reconnais d’ailleurs pas trop, non plus, la patte de Vittorio De Sica, dont les meilleures réalisations me semblent bien plus réussies quand elles touchent au drame (du Voleur de bicyclette au Jardin des Finzi-Contini en passant par Umberto D) que lorsqu’elles sont tournées vers la comédie (j’ai un souvenir mitigé de Hier, aujourd’hui et demain et je n’ai pas trouvé Sept fois femme bien convaincant).

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Il manque à Il boom de la férocité, alors que l’argument est cruel à souhait, de ce type qui s’est pris au jeu de la vie facile d’une bourgeoisie qui aime sortir, danser, boire et flirter, largement échappée, en 1963, des ruines et des brûlures de la guerre et qui profite à qui mieux mieux des prospérités du Marché commun commençant. Un type absolument fasciné par la beauté et l’aisance mondaine de sa femme et qui craint avant tout de la perdre s’il ne lui offre pas tout ce qu’elle veut.

Et parce que le flot montant des dettes contractées ici et là le submerge, que personne ne peut plus lui faire confiance, il accepte de vendre un de ses yeux à un de ces Commendatore d’industrie durs au travail et carré en affaires qui ont fait le tissu industriel de l’Italie, sans toujours y mettre des gants.

L’outrance même d’un scénario ainsi traité en comédie la fait confiner à la fable, et même aussi un peu, à la fin, à la farce ; ainsi lorsque Giovanni Alberti (Alberto Sordi), terrifié par le contrat qu’il a signé, s’enfuit de la clinique énucléatrice et se jette dans la circulation : il y a là une scène qui m’a fait songer aux films burlesques muets étasuniens dont je ne fais vraiment pas mon miel, avec des gens qui courent de partout comme dans un Mack Sennett.

Et comme c’est trop hénaurme, on n’entre pas vraiment dans le jeu : on a basculé dans l’allégorie, ce qui n’est le cas ni dans Le pigeon, ni dans Le fanfaron, ni même dans Les monstres, toutes comédies italiennes de l’époque. On n’arrive à croire ni en l’amour passionné d’Alberti pour sa femme, ni à la crudité de la transaction.

boom-vittorio-sica-1963-L-Ij3v_mCe venin jeté, il y a pourtant des trucs absolument formidables dans Il boom et en premier lieu un époustouflant Sordi qui porte absolument le film sur ses épaules, dont le visage d’une incroyable mobilité parvient souvent à entraîner l’adhésion du spectateur, même dans les séquences les plus improbables ou les moins bien venues. Acteur fabuleux d’Une vie difficile, de L’argent de la vieille, entre autres merveilles, portant dans son regard de chien battu toute la fatalité du monde, il écrase tout le reste de la distribution, pourtant de bonne qualité.

Sa femme adulée, Silvia, c’est Gianna Maria Canale à la grande beauté qui, curieusement, abandonna le cinéma peu après Il boom à 37 ans, et vécut, paraît-il, terrée sans jamais sortir de chez elle, à la Greta Garbo (une légende urbaine prétend qu’elle aurait été défigurée par un accident de voiture). Enjouée et ravissante, elle prouve qu’elle pouvait n’être pas confinée aux péplums et aux films d’horreur, où on la consomma beaucoup (il faut que je m’offre pour Noël Les Vampires de Riccardo Freda, qui fut son compagnon !).

Le film est attachant, agréable à regarder, donne une idée des intérieurs et plaisirs bourgeois du début des années Soixante, mais demeure, à mes yeux, un peu trop léger…

Pour l’anecdote, et pour relativiser les perspectives contemporaines, j’ai bien médité à une apostrophe du général, beau-père de Giovanni, à je ne sais plus quel propos : En Russie, on manquait de pain, mais pas de caviar ! ; il fait évidemment allusion à la présence sur le front de l’Est d’un contingent italien. En 1963, ce genre de propos ne choquait personne. Je n’ose penser le tollé que l’idée même qu’un protagoniste – au demeurant assez peu intéressant, mais nullement antipathique – ait pu combattre aux côtés de l’Allemagne nazie susciterait aujourd’hui !

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