In the cut

La jeune femme et la mort.

Je ne saurais sûrement pas rationnellement expliquer pourquoi il me semble que In the cut est un film de femme fait pour les femmes et même presque féministe. J’enfoncerais des portes ouvertes en rappelant que la réalisatrice est Jane Campion, que l’actrice principale, l’héroïne est Meg Ryan et que le second rôle (et demi) est tenu par Jennifer Jason Leigh ; je serais un peu davantage hardi en remarquant que la sexualité plutôt brutale de cette héroïne va plutôt dans le sens de celles qui pensent que les hommes ne savent pas bien montrer l’érotisme féminin, la vague déferlante du désir féminin, possiblement survenu après des années de frustration.

Sans doute dans une vue un peu plus péjorative, j’insisterais sur un certain goût que j’appellerais décoratif, mais qu’on pourrait sarcastiquement qualifier de goût du joli : c’est très sensible dans les images plutôt mièvres du début du film, cette pluie de pétales qui accompagne Frannie Averey (Meg Ryan, donc) et sa demi-sœur Pauline (Jennifer Jason Leigh) ; ça l’est aussi dans ce qui m’a paru être un abus de tics de filmage (gros plans, usage du flou, ralentis, caméra vagabonde). D’autant que cette joliesse tranche violemment avec la crudité, la cruauté aussi des séquences glauques marquées par la violence du langage, la trivialité de la fellation dans les toilettes du bar Red Turtle, la sauvagerie des meurtres et de la description qui en est faite (le découpage des victimes).

Je comprends bien que Jane Campion institue ce clivage très volontairement de la même façon qu’elle oppose la banalité plutôt médiocre de la vie de Frannie et l’image idéalisée qu’elle se fait de la rencontre et du coup de foudre de ses parents. Mais il me semble qu’il manque une dimension au récit et que la personnalité de l’héroïne n’est pas assez bien sculptée.

C’est un fait, elle paraît ab initio sexuellement frustrée, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi (mais sait-on vraiment le fond des choses, dans ce domaine ?) et parallèlement elle est absolument fascinée par les aspects les plus sombres de la sexualité ; ainsi le travail qu’elle a entrepris et qui doit aboutir à un livre sur les termes de l’argot new-yorkais, dont la plupart sont à forte connotation sexuelle ; ainsi le regard sidéré et trouble qu’elle porte sur la scène qu’elle surprend dans les toilettes du Red Turtle et à quoi elle ne se dérobe pas du tout ; ainsi la sauvagerie de sa relation amoureuse avec Giovanni Malloy (Mark Ruffalo), le policier chargé de l’enquête sur les assassinats sadiques de filles légères.

Et Giovanni Malloy n’est pas non plus un personnage bien dessiné. On apprend vaguement qu’il est séparé de sa femme (mais vit encore dans l’appartement conjugal, par manque de moyens) et qu’il a trois enfants. C’est à peu près tout. Et on n’en saura pas plus sur les autres protagonistes : la pauvre fille paumée Pauline, demi-sœur de Frannie (Jennifer Jason Leigh), elle aussi décortiquée par le tueur, sur John Graham (Kevin Bacon), le soupirant, l’amant provisoire de Frannie, désormais éconduit ou sur Rodriguez (Nick Damici), le collègue policier de Malloy, dont le rôle est déterminant, mais qui demeure transparent jusqu’à la fin (je ne veux rien spoiler, comme on dit).

En d’autres termes, il me semble que Jane Campion a consacré tous ses efforts à filmer, de la façon dont elle entend le cinéma, une histoire et des personnages qui l’indifféraient, ou à peu près et à quoi elle n’attache qu’une importance secondaire. Il y a des bains de sang ; pourquoi pas ? Je suis occasionnellement amateur de films terrifiants et je peux supporter des images gore ; mais c’est là du cinéma de genre (qui vaut ce qu’il vaut et n’a pas à être méprisé intrinsèquement) ; mais je n’adhère pas vraiment à un film qui tente de mêler sans trop de distance ces images sanguinolentes, une intrigue policière assez banale et l’exploration qui devrait être subtile de l’éclatante survenue du désir.

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