Indiana Jones et le temple maudit

Raciste et sadique ?

Il est sans doute exceptionnel qu’un récit aussi chatoyant, dont le premier épisode, sorti en 1981, avait émerveillé le monde entier, ravi de voir s’incarner une grande aventure qu’on croyait réservée aux bandes dessinées, il est exceptionnel, donc, que le deuxième volet de la série soit d’aussi grande qualité, ou presque que son prédécesseur.

D’autant que ce n’est pas une suite, une histoire dont les amples développements, trop retenus dans le format étroit d’une séance de cinéma, auraient trouvé leur vraie mesure dans toute une série qui n’est finalement qu’un film très long distribué entre plusieurs époques. Le personnage principal, doté d’un caractère affermi et de quelques attributs à nature d’icône (le fouet, par exemple) s’offre au spectateur toujours tel qu’en lui-même, mais dans une variété de récits et d’environnements qui le rend à sa nature mythique : c’est la reprise intelligente des serials littéraires ou cinématographiques du début du siècle, Fantomas ou Judex, Rouletabille ou Arsène Lupin.

Ceci avec tous les clichés et les exercices obligés du genre, toutes les caricatures et les coups de théâtre nécessaires, prodigués avec une extrême générosité et avec un clin d’œil connivent au spectateur qui en demande toujours davantage et qui est enchanté d’en obtenir autant. Cela écrit, je me demande si, n’eût été la parfaite réputation de Steven Spielberg et son influence déterminante dans l’économie du spectacle hollywoodien, on lui permettrait aujourd’hui de lancer un film dont le racisme et le sadisme sont aussi complaisants.

03,08aÉcrivant cela je pense aux adulateurs compliqués et constipés du politiquement correct qui ont le génie de trouver des arrière-pensées glauques là où il n’y a, comme dans la plupart des Tintin, qu’une conformité à des stéréotypes des récits d’aventure. Toujours est-il qu’entre Chinois fourbes et mafieux et Hindous cruels et fanatiques, entre banquets fastueux qui offrent à leurs convives des serpents pythons farcis d’anguilles gluantes, des carcasses de cancrelats géants, des potages à l’œil arraché et des sorbets de cervelle de singe, entre collection de hideuses bestioles qui envahissent périodiquement l’espace de l’écran, des nuées de chauves-souris vampires aux grouillements de crocodiles en passant par des marabuntas de cafards et de scolopendres géants, entre agissements des démoniaques adorateurs de la déesse sanglante Kâli et arrivée presque trop tard (mais tout juste à point) d’une troupe de valeureux cipayes conduits par un major de l’Armée des Indes aux moustaches cirées et à la trogne rubiconde, toujours est-il qu’on retrouve parfaitement dans Le temple maudit toute la fierté naïve et la bonne conscience des petits Occidentaux des soixante premières années du siècle, bien contents d’avoir apporté une touche de mesure à cet Orient fascinant mais infréquentable.

Comment se fait-il que les trois (désormais quatre) Indiana Jones aient pu être présentés sans affoler le moins du monde les bonnes âmes, comme des films pour adolescents et que ceux-ci aient pu se régaler sans frémir de ces cœurs arrachés à la main, de ces sacrifices humains, de ces enfants enchaînés vivant leur géhenne dans des mines infernales ? Je crois que la jeunesse, préparée par l’écoute des plus épouvantables histoires qu’on ait jamais inventé pour son édification (du Petit chaperon rouge à Barbe bleue) a une capacité de protection sidérante, du moment que le méchant est clairement identifié et que le héros en triomphe toujours. N’empêche que notre époque devenant d’autant plus superficiellement mièvre qu’elle est fondamentalement sauvage ne tolèrerait peut-être plus aujourd’hui ce premier degré délicieux.

Raison de plus pour tresser des couronnes à Steven Spielberg et à Harrison Ford.


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