Inland Empire

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Bon ; je sors de Inland Empire et j’ai le sentiment d’être plus encore embrouillé que je ne le craignais.

Forcément on se demande si le Lynch qu’on aime, toujours sur la ligne de crête des obscurités allusives, des ellipses énigmatiques, des ombres impalpables n’a pas, cette fois, franchement décroché pour passer carrément dans le n’importe quoi.

Et puis, peu à peu, reviennent en tête, remontent en surface, des images fortes, des bribes de séquence, des morceaux de dialogue.

Et l’on se dit que si, deux heures après ça commence à reflotter, demain matin, dans trois jours, dans une semaine, la carcasse de ce sous-marin de l’inconscient, presque totalement immergé au moment où j’écris ces lignes, va apparaître sinon dans une lumineuse cohérence, du moins dans une force d’évidence lynchienne.

Comme beaucoup, je suis certain que si le film n’était pas signé de Lynch, il ne pourrait trouver ni producteur, ni public. C’est un peu, d’ailleurs, sa limite : que l’on soit amené à faire un effort pour apprécier une œuvre aussi complexe n’est pas absurde ; mais on ne peut non plus accepter trop longtemps que l’auteur n’y mette pas un peu du sien.

16 février 2007


Je reconnais volontiers qu’il y a des cinéastes pour qui je suis d’une révoltante partialité. il y a ceux que je ne peux pas pifer, quelquefois depuis que, à peine pubère, je me suis révolté devant un de leurs films (Luchino Visconti avec Senso) ou endormi devant un de leurs pensums (Ingmar Bergman avec Le silence) ou dégouté devant une de leur crottes (Marco Ferreri avec La grande bouffe).

Dans mes moments agréables, qui sont rares, je me dis que je devrais quelquefois aller revisiter ces réalisateurs et essayer de leur trouver les mérites qui leur sont généralement attribués ; mais enfin il y a tant et tant de choses à voir et le temps nous est si fort compté…

Il y a d’autres cinéastes qui, parallèlement et systématiquement, bénéficient de ma bienveillance absolue (ce dont ils doivent légitimement se contreficher), pour qui j’arrive à trouver toujours un détail, un zeste, une bribe de qualité même dans leur film le plus raté et que je suis prêt à défendre inguine et rostro (bec et ongles pour les incultes). Par exemple Emir Kusturica ou Nikita Mikhalkov. Et David Lynch, bien sûr. Des auteurs qui ont tant marqué ma sensibilité personnelle que je m’en voudrais de ne pas chercher dans un de leurs moindres bouts de pellicule les émotions qui m’ont quelquefois bouleversé.

Donc Inland empire. Vu, il y a dix ans avec l’anxiété préalable de la déception possible et l’espérance qu’une maturation ultérieure profonde ferait remonter des fins fonds de la déception ressentie des images et des souvenirs aussi intenses que dans tous les autres films de Lynch. Je suis bien le dernier à exiger la parfaite lisibilité d’une histoire, la cohérence des séquences qui s’entrechoquent, l’explication rationnelle de ce que l’on voit sur un écran : j’ai déjà écrit dix fois qu’un film peut être aussi fascinant et incompréhensible qu’une scène de la rue parisienne vue de la terrasse d’un café où passent, s’interpellent, reviennent, réagissent sans qu’on n’en saisisse rien des centaines d’individus dont on ne sait rien et qu’on ne connaîtra jamais. Je ne dis pas que tous les films doivent être ainsi mais certains – rares – peuvent l’être et retenir tout autant que les mécaniques horlogères où tout est disséqué au scalpel du narrateur omniscient et du spectateur comblé dans ses attentes. J’ai été, comme tout le monde, je pense, décontenancé la première fois que j’ai vu Mulholland drive et, presque cinquante ans après ma première vision, il m’arrive encore de m’interroger sur certains points de 2001. Voilà une affaire entendue.

N’empêche que trop c’est trop. Trois heures d’errance dans un tunnel dont on ne voit pas la sortie, ça dépasse ma capacité d’empathie. On me dira, sûrement à juste titre, que tout a sa place dans le film, que tout a sa résonance, que rien n’est gratuit et qu’une exploration attentive de chacune des images permet des mises en abyme vertigineuses et magnifiques que je pourrais décortiquer avec un minimum d’efforts. Et sans doute, mais c’est ce que je ne me sens pas de faire. Sauf à reparcourir Inland empire séquence par séquence, peut-être même image par image, je crois qu’on se perd dans une forêt trop épaisse, trop profonde et, autant le dire, trop desséchée. Se perdre dans un film, je le redis, ce n’est pas bien grave et c’est même un principe très lynchien, qu’on peut ne pas apprécier, mais qui, quand il ne repousse pas, séduit violemment.

Mais, malgré tous mes efforts, toute ma bonne volonté – toute ma mauvaise foi pro-lynchienne, si je puis dire – je ne suis jamais parvenu à m’intéresser, à participer, à prendre part à l’aventure de Nikki Grace/Susan Blue (Laura Dern, pourtant magnifique), aventure vécue, subie, sublimée, fantasmée (?) à ses errances, à ses angoisses, à ses trajets…

Dès lors ces trois heures apparaissent démesurément longues, ce qui est bien embêtant, d’autant que, dans l’évidente volonté du réalisateur de les montrer salies, granuleuses, surexposées ou au contraire si sombres qu’on n’y distingue presque rien, on ne peut pas se réfugier dans des sortes de tableaux que Lynch sait faire surgir… Peut-être seulement les quelques séquences étouffantes où des lapins hiératiques attendent on ne sait quoi, hors le grelottement d’une sonnerie de téléphone et qui m’a fait songer à Blue velvet où dans la maison de Ben (Dean Stockwell), de grosses femmes permanentées attendent elles aussi on ne sait qui ; c’est le même type de lumière et d’agencement des meubles.

Si j’y songe, bien sûr, me revient en tête aussi la scène où Susan Blue (c’est-à-dire le personnage joué par Laura Dern dans le film tourné par Kingsley Stewart (Jeremy Irons) – le film dans le film), me revient en tête la scène où Susan agonise au milieu de drogués allongés sur le macadam… Tu vas mourir, Madame, simplement….

Monde du rêve, monde du cauchemar, évidemment. Mais il peut malheureusement exister des cauchemars ternes.

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Ma note de 3 ne veut évidemment rien dire ; elle ne fait qu’exister ; ce qui est très lynchien, au demeurant.

 

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