Kill Bill volume 1

Les petites filles modèles.

Comme, grâce à Reservoir dogs et Django unchained je suis, depuis quelques années, un peu revenu de mes préventions contre Quentin Tarantino, sans jamais le placer, bien sûr, au sommet de mon Panthéon cinématographique, je me suis dit qu’il pouvait être instructif d’aller redécouvrir les deux Kill Bill. J’avais, il y a beau temps, regardé assez distraitement le premier, vite agacé par une violence si chorégraphiée que, malgré sa sauvagerie, elle n’est absolument pas terrifiante et que son esthétisme athlétique la fait volontairement décoller de toute réalité. Je ne suis pas, pas du tout allergique aux massacres, que ce soit ceux de Cannibal holocaust ou ceux d’Hostel, mais, dans le genre, j’estime que le minimum est de filer les chocottes au spectateur. Ce qui n’est pas le cas dans le film de Tarantino, tout au moins dans Kill Bill volume 1.

Ce n’est pas le cas parce que j’ai découvert à la vision que le double film avait d’autres charmes. Certes les histoires d’élimination successive d’un coupable ne sont pas rares au cinéma. J’ai en tête, par exemple la très singulière Journée bien remplie de Jean-Louis Trintignant. Et la vengeance perpétrée par une femme de qui on a tué le mari est précisément le thème de La mariée était en noir de François Truffaut. Mais l’originalité du réalisateur étasunien, le caractère étrange, ambigu, séduisant de son film est de placer les femmes au centre de son propos.

Et cela sans pour autant le tirer vers le féminisme, loin de là. Car si la plus belle partie de l’Humanité (aux sens propre et figuré) rayonne absolument et fait admirer à la fois son agilité, sa force, sa résistance, sa détermination et son absolue cruauté, il me semble qu’on pourrait, saisi par l’empathie pour La Mariée (Uma Thurman), oublier qu’elle a fait partie d’une très prospère P.M.E. du crime international. Ce qui, au demeurant, n’a pas paru particulièrement poser de préoccupations éthiques. Pas davantage en tout cas qu’aux quatre chouettes copines qu’elle zigouillera successivement : Vernita Green (Vivica A. Fox), O’Ren Ishi (Lucy Liu), Sofie Fatale (Julie Dreyfus), Elle Driver (Daryl Hannah). Au fait, à côté de ces amazones est bien piètre et bien crétin, quoiqu’aussi cruel, le lourdingue Budd (Michael Madsen), le frère de Bill (David Carradine).

Et, au fait, Bill est la grande affaire et le manipulateur, le démiurge majuscule ! Le titre même du film le dit avec éclat ; mais il y a bien davantage : l’extraordinaire emprise qu’il exerce sur toutes les filles de son entreprise, qui sont aussi, la chose est implicite mais évidente, les houris soumises de son harem. Il n’est que de voir de quel ton déférent elles lui parlent, combien elles lui obéissent, à quoi elles sont prêtes pour le satisfaire.

Une des images qui m’ont marqué dans le film – assez rares, au demeurant, hors les chocs visuels de violence – une des images fortes et glaçantes est celle où, à la fin du volume 1, Sofie Fatale (Julie Dreyfus), démembrée par La mariée (Emma Thurman) pour obtenir des renseignements, demande pardon à Bill de ne pas l’avoir mieux servi et d’avoir, sans doute, craqué. Adulation, fascination pour un homme supérieur et reconnu comme tel par ses servantes. Dans un mode ricaneur, je songeais à la relation de totale subordination qu’exerce Derek Flint (James Coburn) dans deux excellents films parodiques (Notre homme Flint de Daniel MannF comme Flint de Gordon Douglas).

Le film est bâti en chapitres et en faisant virevolter les temps du récit ; reconnaissons, comme de coutume à Tarantino une grande maîtrise de ces constructions compliquées, où l’on va, l’on vient, où l’on quitte les uns dans un moment décisif pour se consacrer aux autres dans un instant de tension. Je crains qu’on puisse seulement dire que le réalisateur s’amuse et se goberge beaucoup de sa virtuosité, qui n’est pas toujours justifiée : l’idée de passer en dessins animés l’histoire de la vie périlleuse de O’Ren Shi (Lucy Liu) est ainsi particulièrement ennuyeuse. Et la bien trop longue séquence de massacre qui suit, malgré l’inventivité des chorégraphes, est à la limite du supportable.

C’est bien dommage quand on a les talents et les moyens de Tarantino de s’amuser comme un gosse avec ses jouets. Mais ça se laisse voir, si l’on est un peu indulgent.

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