La Bible

La plus belle histoire jamais contée.

La fin de la carrière de Marcel Carné n’est pas un chemin de lys et de roses. Les esprits hâtifs concluront que c’est grâce à la présence à ses côtés de Jacques Prévert qu’il a pu tourner ses grands films, de Drôle de drame aux Portes de la nuit (en faisant mine d’oublier, d’ailleurs, qu’Hôtel du Nord ne doit rien à Prévert). Mais alors que dire de La Marie du portThérèse RaquinL’air de Paris et même de Du mouron pour les petits oiseaux, eux aussi tournés sans le concours de l’auteur de Paroles ? Cela étant on sent tout de même un essoufflement et, malgré de grands succès publics (Les Tricheurs), on sent que la route commence à descendre.

D’ailleurs les producteurs, toujours subtils et féroces, ne s’y trompent pas. Carné ne trouvera personne pour financer l’adaptation qu’il voulait faire de L’Argent d’Émile Zola 18ème et antépénultième volume de la série des Rougon-Macquart. Alors un jour, sans doute un peu au hasard, lors d’un voyage en Sicile, il entre dans la cathédrale Santa Maria Nuova de Monreale, près de Palerme et il est immédiatement ébloui. Construite entre 1172 et 1176 dans un style composite qui mêle les influences arabes, normandes et byzantine (c’est dire le sort singulier de la grande île, qui passa des uns aux autres), la cathédrale est massive et immense.

Mais la particularité exceptionnelle de la cathédrale est d’être à peu près complétement revêtue de mosaïques (10.000 m2, paraît-il : un hectare !) qui relate avec somptuosité de très nombreux épisodes de la Bible, Ancien et Nouveau Testaments à justes proportions.

Quel était le rôle de ces mosaïques ? À peu près le même que celui des vitraux des cathédrales : l’instruction religieuse de populations certes illettrées (mais beaucoup moins qu’on voudrait nous le faire croire), qui, grâce à leur connaissance des Écritures, parvenaient à lire mosaïques ou vitraux comme une sorte de bande dessinée, dans une grande familiarité avec les histoires merveilleuses contées.

Notre monde a perdu beaucoup de la connaissance classique de nos anciens ; et ceci n’est pas seulement valable pour les récits de la Bible ; combien d’entre nous, dans un musée, pouvons reconnaître les symboliques précises dispensées par les grands peintres du 17ème siècle ? Nicolas Poussin par exemple est aujourd’hui à peu près illisible

Autant nous aider, donc, dans la visite des voûtes mordorées de Monreale ; Didier Decoin écrit le texte, Jean Piat le prononce. Quels meilleurs guides pourrions-nous avoir dans cette exploration ? Et voilà que se présente, de la Genèse à la représentation du martyre des premiers apôtres, toute la longue théorie de ces textes qui, avec la Grèce et Rome ont fondé notre admirable Occident. La caméra intrusive de Marcel Carné déniche, débusque, s’insinue sur un pilier, dans une voûte ; la création du Monde, le jardin d’Eden, Caïn et Abel, Sodome et Gomorrhe, la tour de Babel, Abraham, Isaac et Jacob, Moïse, David, Salomon…

Puis l’aventure extraordinaire du Christ ; Zacharie et Élisabeth, parents du Baptiste, l’annonce faite à Marie, les trois rois mages, le massacre des innocents, la circoncision, l’enfant Jésus éblouissant les docteurs de la Loi, le baptême du Christ, l’épreuve du désert et les tentations démoniaques, les noces de Cana, les marchands du Temple, la guérison des malades, la multiplication des pains, la Transfiguration, Lazare, Marie-Madeleine… Bien sûr la Cène, le jardin des oliviers, Ponce Pilate, la flagellation, la crucifixion, le tombeau. Et, la mort vaincue, la Résurrection.

Tout cela apparaît dans la richesse des nuances de la mosaïque. La qualité artistique de ces compositions de tout petits morceaux de verre colorés, disposés avec un sens confondant de la perspective et des expressions est ébouriffante. La moindre inflexion d’humeur, la joie, le chagrin, la douleur, l’étonnement apparaissent avec autant de véracité qu’ils le feraient sur un tableau.

Les images de la cathédrale sont mixées avec des vues de la Sicile ou des lieux de Palestine à quoi les scènes se rattachent ; est-ce du cinéma, ce documentaire ? Je n’en sais trop rien, mais j’ai trouvé que Marcel Carné partait là sur une bien bonne note.

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