La boîte magique

Folies et merveilles des inventeurs.

La tête sur le billot, à la question qu’on m’aurait posée de savoir qui étaient les inventeurs du 7ème Art, j’aurais sans trembler répondu : « Les frères Louis et Auguste Lumière » qui, à la fin du mois de décembre 1895 projetèrent dans le Salon indien du Grand café, sur le boulevard des Capucines, un méli-mélo de courts métrages, notamment le célébrissime Arroseur arrosé. Et s’il s’agit de définir le cinéma comme spectacle – et, mieux, comme art à part entière – je n’aurais eu pas tort du tout : la représentation d’images animées devant un public payant est effectivement due aux frères lyonnais.

Mais si l’on veut parler de travaux scientifiques sur la création d’images animées, l’affaire est bien plus complexe et il semble que ce sont les travaux du génial Thomas Edison qui sont les premiers du genre, à moins que l’on considère que les sortes de projections de lanternes magiques d’Étienne Marey ou d’Émile Reynaud entrent dans la course. À dire le vrai, la plupart des inventions sont en fait le surgissement de bouillonnements qui, aux mêmes époques, agitent les cervelles des inventeurs. Au fait, pour qui voudrait avoir un peu plus de lumière (hihi !) sur ces bouillonnements, je renvoie à l’article très complet (et très ennuyeux pour qui ne se soucie pas de technique) de notre amie Wikipédia.

Eh bien, parmi les pionniers de ce cinéma que nous aimons, il y a aussi l’Anglais William Friese-Greene, dont la vie est racontée avec soin et tact par John Boulting dans La boîte magique. Cet inventeur-là, non content d’être de ceux qui, à la fin du 19ème siècle, tentaient d’animer les images, avait aussi, vingt-cinq ans plus tard engagé des recherches intéressantes sur la couleur. Découvreur de qualité, il était aussi un homme d’affaires épouvantable et – c’est ce que nous raconte le film – un mari et un père lunaire, incapable, superficiel et adorable.

Je suppose que la réalisation est à peu près conforme à ce que fut la vie de ce photographe de talent, qui ne se satisfaisait pas de mettre en scène les portraits solennels que la bonne société de l’époque victorienne, pleine de morgue et consciente d’être britannique – c’est-à-dire favorisée et choyée par l’Éternel – commandait à d’habiles artisans.

Le film est semé de flashbacks, au demeurant bien construits et bien placés, qui ne paralysent en rien le déroulement du film. La boîte magique commence en 1921, lorsque le pauvre William – que tout le monde appelle Willie – vient présenter une nouvelle invention à sa seconde femme Édith (Margaret Johnston), avec qui il est depuis longtemps séparé. Il lui a donné cinq garçons, mais Édith a bien été obligée de fuir cet époux immature, seulement préoccupé de ses recherches techniques. La grande prospérité due aux talents artistiques réels de Willie et aux nombreux brevets qu’il a déposés ne tiendra pas très longtemps.

Quand j’étais enfant et que des maîtres consciencieux nous apprenaient l’Histoire de France, ils nous fascinaient avec la vie de Bernard Palissy, qui avait englouti sa fortune et celle de ses proches dans la recherche obsessionnelle et démesurée de la parfaite cuisson des émaux. Freese-Greene est de la même étoffe ; obsédé par sa quête, il gâche toutes les opportunités de s’assurer la prospérité, voire l’opulence. Nous sommes alors en 1915 ; ses trois garçons aînés s’engagent dans l’Armée, alors même qu’ils n’ont pas l’âge, afin de ne plus être à charge.

Nouveau retour en arrière. Vers quelle date ? Avant 1901, en tout cas, puisque les effigies officielles portent le visage de la reine Victoria. Rencontre avec la très gracieuse Helena (Maria Schell). Comme quelques années plus tard, c’est d’abord une période de vache enragée, puis un succès fou, un succès mis à bas par la désinvolture de Willie qui néglige absolument toutes les règles de la vie sociale, uniquement préoccupé de ses recherches.

Tout ce que je conte est l’écume des choses, la trame assez triste d’une vie gâchée ; mais il y a plein d’épisodes brillants et tristes qui montrent l’immaturité fondamentale de l’homme, son incapacité à ne voir le monde que sous son propre prisme. Il y a une séquence très réussie : Willie est ténor dans la chorale de Bath, où il vit alors dans le bonheur et l’aisance avec Helena, choriste aussi. Mais, captivé par une discussion technique, il ne se rend pas au théâtre où une soirée de gala est donnée et où il est impatiemment attendu.

Le regard apeuré de Maria Schell nous rappelle quelle grande actrice elle fut, ou aurait pu être. Quant à Robert Donat, ce n’est pas tout à fait une révélation : je l’avais beaucoup apprécié dans l’excellent et tendre Au revoir Mr. Chips de Sam Wood en 1939. Mort à 53 ans en 1958, il n’a sûrement pas, aujourd’hui, la renommée qu’il méritait.

 

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