La fête à Henriette

Un caprice parisien.

Voilà un film très curieux, très inhabituel, très original, mais qui ne trouve qu’à demi sa place dans la filmographie du grand Julien Duvivier, qui est à mes yeux, par la permanence et la hauteur de son inspiration, le plus grand cinéaste français, avant même Henri-Georges Clouzot et Jacques Becker. Un film qui n’a que peu à voir avec l’auteur noir et souvent accablant de La belle équipeLa fin du jourPaniqueSous le ciel de Paris. Un film qui, certes, perpétue temporellement la veine légère et assez souriante du Petit monde de Don Camillo mais qui paraît tout de même un peu artificiellement conçu. Je gage, d’ailleurs, que d’il n’était pas signé par ce réalisateur incontournable, il aurait un peu disparu des esprits, alors qu’il y survit par l’étrangeté de sa construction.

Ce n’est pas que l’idée d’un film dans le film, ou plutôt d’un film où l’on voit se construire le scénario d’un film soit absolument inédite et originale. Dans le supplément du Bluray, Éric Bonnefille, spécialiste du cinéma de Duvivier, cite deux essais antérieurs : Une idée à l’eau, réalisé par Marco de Gastyne puis par Jean-Paul Le Chanois de 1940 à 1942 et Film sans titre de Rudolf Jugert en 1947 (ce qui est amusant c’est que la vedette de ce dernier film est Hildegard Knef qui a un rôle vénéneux et intéressant dans La fête à Henriette). Il y aura ensuite un remake, Deux têtes folles, de Richard Quine en 1964 et une sorte d’hommage rendu par Robert Guédiguian avec À l’attaque ! en 1999. Je dois dire que je ne connais (et apprécie beaucoup) que ce dernier film, une des très belles réussites du Marseillais.

Mais si c’est une réussite, c’est précisément parce que l’histoire contée, tricotée par les deux scénaristes et qui prend consistance sous les yeux du spectateur a de la qualité et de l’intérêt. Et ce n’est pas vraiment le cas pour La fête à Henriette.

Qu’on en juge : voici le tronc principal de l’intrigue, élagué de toutes les digressions, bifurcations, variantes, songeries élaborées un instant par les deux auteurs, Louis Seigner  et Henri Crémieux. La jeune couturière Henriette (Dany Robin) est la fille de bien braves gens. Le père, (Alexandre Rignault) est garde républicain. La mère (Paulette Dubost) est un peu agacée parce que le soupirant de sa fille, le reporter-photographe Robert (Michel Roux) ne semble pas se décider à la demander en mariage, alors qu’il l’embrasse sur la bouche ! Là un trait délicieux de dialogue (d’Henri Jeanson) : Il ne m’embrasse pas si souvent que ça sur la bouche ! proteste Henriette ; Peut-être, mais il y reste longtemps ! rétorque la mère…

Robert vient inviter sa fiancée à l’accompagner toute la journée du lendemain, qui est le 14 juillet, à la fois Fête nationale et fête de la sainte patronne d’Henriette : il va réaliser dans tout Paris un reportage photographique autour de la joie populaire et de la jeune fille. Tout cela est bien posé et bien conçu. Il faut maintenant inventer les développements de l’intrigue en s’enfonçant dans des directions qui peuvent paraître pertinentes mais qui se révèlent rapidement être des culs-de sac, trouver des biais, des astuces, de nouveaux personnages qui vont influencer le destin des personnages.

De fait, je suppose que c’est bien un peu ainsi que travaillent les duos de scénaristes, chacun apportant sa pierre, se contredisant, se développant, se suppléant… Pierre Bost et Jean Aurenche ou Agenore Incrocci et Furio Scarpelli pour citer les plus connus. Le film de Duvivier oppose deux tempéraments : l’un, poussé par le goût du drame, de la noirceur et de l’érotisme, est incarné par Henri Crémieux (représentation possible de Duvivier lui-même) ; l’autre, plus narquois, subtil et optimiste, par Louis Seigner (c’est-à-dire Jeanson). Les deux hommes sont entourés par leurs femmes (ou leurs maîtresses ?) et par une secrétaire très fine (Micheline Francey) et toutes apportent leur grain de sel au cheminement de l’intrigue.

L’imagination, la folle du logis tire à hue et à dia et suscite évidemment des obstacles à l’hyménée des deux tourtereaux ; et quels sont mieux choisis que l’irruption de deux démons sacrément tentateurs, la belle écuyère de cirque Rita Solar (Hildegard Knef), collectionneuse de beaux garçons pour Robert, le mauvais garçon bel homme et Mozart des coffres-forts, Maurice (Michel Auclair) pour Henriette. Le garçon cède à la passade, la fille y résiste de justesse (on est en 1952 tout de même !) et après dix péripéties hétéroclites, tout s’arrangera.

Le défaut de la structure, c’est évidemment la superposition ou l’accumulation de scènes composites, forcément mal reliées, les unes tragiques, les autres souriantes. Cela peut donner des séquences étonnantes et très réussies , comme des poursuites dans les cadres étranges du Gaumont-Palace de la place Clichy, qui fut le plus grand cinéma d’Europe, démoli en 1973 ou d’un des hideux gazomètres qui bordent la rue de l’Évangile dans le nord-est du 18ème arrondissement, un des endroits les plus glaçants de Paris. Mais souvent, c’est un peu n’importe quoi et on voit surgir des personnages qui viennent faire sans trop de nécessité leur petit numéro, comme Saturnin Fabre ou Julien Carette.

Il y a de la virtuosité, dans La fête à Henriette, dans la façon de filmer de Duvivier bien sûr, avec ses cadrages décentrés et toujours originaux, dans le choix des acteurs (même Michel Roux, exaspérant dans la suite de sa carrière, est très convenable), dans la musique en ritournelles de Georges van Parys, dans Paris, encore bien crasseux d’avant André Malraux mais toujours si sublime. Mais la virtuosité ne suffit pas. Il faudra attendre quatre ans, 1956, avec Voici le temps des assassins et Pot-Bouille pour retrouver le grand Duvivier.

2 Responses to “La fête à Henriette”

  1. DBdumonteil dit :

    bONJOUR vous qui partagez ma passion pour Duvivier; ce message concerne votre classement

    perso : j’aurais mis plus haut « panique » « la fête à henriette » « poil de carotte » « marianne de ma jeunesse » « un carnet de bal »

    plus bas « marie-octobre  » et « pot bouille »

    et en fin de liste « don camillo » , l’homme à l’imperméable  » et en tout dernier « blackjack « (je ne me rappelle plus si vous le citez ,de toutes façons il ne presente aucun intérêt ,l’auteur l’a renié.)

  2. impetueux dit :

    Lorsqu’on apprécie un réalisateur, on est souvent confronté à cette question du choix entre ses films. Choix qui fait appel à sa propre sensibilité, à ses souvenirs, à la résonance du film dans son imaginaire. Je n’aime pas beaucoup « Marianne de ma jeunesse » et j’apprécie énormément « L’homme à l’imperméable ».

    Vous, non ? Qu’y faire ? Merci pour votre message.

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