La forme de l’eau

Amélie Poulain dans la Guerre froide.

Sans doute un peu trop long (près de deux heures) et animé de la bonne conscience affirmée du Camp du Bien, le film de Guillermo del Toro se laisse suivre sans déplaisir, du moins tant qu’on garde le sourire narquois à la bouche et qu’on ne tombe pas dans tous les pièges de gluant caramel mou qui enlacent les films où les pauvres, malheureux, laissés pour compte de la vie l’emportent, à force de courage et de pureté sur les méchants qui leur font pièce. Vignettes du Camp du Bien, donc. L’héroïne, Élisa Esposito (Sally Hawkins) est muette (donc handicapée – un point) ; sa meilleure amie, Zelda (Octavia Spêncer) est noire (un point) ; son voisin et ami Giles (Richard Jenkins) est à la fois artiste peintre et homosexuel (un point et demi). On s’est bien positionné sur l’échelle rigide de la bien-pensance.

Voilà donc ce qui se passe : Élisa, femme de ménage dans une agence gouvernementale assez discrète, découvre que dans les locaux qu’elle nettoie, vit secrètement une créature amphibie (Doug Jones), capturée dans les eaux saumâtres d’Amérique du sud et potentiellement, arme fatale dans la guerre que se livrent en 1962 (époque où se passe le film) les États-Unis et l’Union soviétique. C’est l’acmé de la crise des missiles de Cuba où tous les gogos (dont j’étais) ont cru que le monde pouvait exploser.

La forme de l’eau mixe avec une réelle habileté l’angoisse que ressentaient vraiment beaucoup d’Occidentaux (et sans doute aussi d’Orientaux) devant la tension ferme et les mentons levés des deux puissances et une toute bête histoire imitée de La belle et la bête. La jeune femme qui va se trouver fascinée par la créature monstrueuse, aqueuse, visqueuse est elle-même confinée dans une toute petite pauvre vie et sa seule distraction est le plaisir solitaire que, rituellement, elle s’offre chaque matin dans sa baignoire. La découverte de l’étrange force virile détenue par la créature va lui changer la vie et la faire aller vers des horizons sensuels plus tangibles.

Tout cela ne va pas sans un appel outrancier à la caricature : le colonel Richard Strickland (Michael Shannon) est la parfaite caricature du militaire borné, raciste, homophobe, méprisant, c’est-à-dire l’exact contraire des merveilleux héros positifs présentés plus avant. Il est tellement détestable que personne ne peut regretter qu’il se ridiculise et se fasse, in fine abattre par la Créature. C’est bien fait, n’est-ce-pas et des gens comme ça ne devraient pas exister.

La fin du film est d’une bienveillance humaniste absolue. La créature et son amie Élisa, représentés désormais comme un exemple même des métissages les plus invraisemblables qui nous sont proposés, s’enfoncent dans le bleu de la mer, promis aux grands bonheurs et aux grandes aventures des amours partagées.

On en aurait presque la larme à l’œil. Il faut d’ailleurs admettre sans déplaisir que le rythme du film est excellent et que, malgré sa durée excessive, il se laisse regarder. Disons que c’est tout de même au profit d’une idéologie humaniste douteuse.

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