La maison des bories

De jolis souvenirs un peu minces.

Je conservais un souvenir très ancien et estompé du film, sans doute un peu trop noyé, précisément dans la brume dorée du passé, le cadre magnifique de la Haute-Provence, la beauté adéquate de la musique de Mozart et la blondeur lumineuse de Marie Dubois.

Tout cela, capté sur une chaîne de télévision et revu l’autre soir avec bienveillance et attention, demeure, mais ne suffit tout de même pas à hausser La maison des bories au rang que je pensais.

La faute à qui, ou à quoi ? Essentiellement aux dialogues, qui m’ont semblé pitoyables, sonnant à peu près toujours faux alors que la délicatesse du récit, hautement classique, demande une finesse exceptionnelle, un doigté subtil pour éviter de tomber dans le romanesque et le larmoyant. Car après tout des histoires où une femme jeune et belle, installée dans les tranquilles routines matrimoniales est troublée, séduite, enivrée par la survenue d’un jeune homme beau comme un dieu, qui la regarde comme une déesse, il y en a un paquet : c’est déjà la trame de La princesse de Clèves, roman écrit déjà en 1678 par Madame de La Fayette et c’est un sujet qui a connu plus tard de riches postérités, du Lys dans la vallée au Bal du comte d’Orgel (et sûrement une quantité d’autres qui ne me reviennent pas en tête).

Mathieu Carrière, Marie DuboisMais, donc, si la situation, d’un classicisme extrême, fonctionne toujours aussi bien, s’appuyant sur des caractérisations bien venues, les personnages ne parviennent pas à faire passer le trouble, l’émotion, le saisissement qui s’emparent d’emblée d’Isabelle (Marie Dubois) et de Karl-Stéphane (Mathieu Carrière) dès qu’ils se rencontrent. Si les yeux et les corps parlent, les mots traduisent mal le bouleversement charnel ressenti. (Oui, c’est évident, ce bouleversement charnel ne peut pas passer directement par les mots, mais doit se traduire par les ellipses, ou le métalangage, ce qu’on ne peut dire apparaissant en creux dans ce qu’on dit).

Cela étant, il faut dire beaucoup de bien des simples scènes captées sur le vif dans un des plus harmonieux paysages de France, agités par un vent qu’on imagine bien empli des parfums du thym ; il faut dire du bien de l’atrabilaire Maurice Garrel (qui, je crois, a trouvé là son unique rôle de premier plan), aigre, tyrannique, sombre, mais vigie éclatante et admirée de sa femme Isabelle ; il faut dire du bien de la clarté qui illumine le film, du soleil qui, rituellement, à chaque matin qui se lève, passe au travers des feuilles des grands platanes ; il faut dire du bien de la façon dont est filmé le cours caillouteux du Buëch, qui va, vers Sisteron, se jeter dans la Durance ; il faut dire du bien des acteurs complémentaires, Marie-Louise (Hélène Vallier, sœur de Marina Vlady et d’Odile Versois), Ludovic (Claude Titre, qui incarna, en feuilleton, Bob Morane) et Mlle Estienne (Madeleine Barbulée, surannée comme on aime).

Un film tout de même assez décoratif où Jacques Doniol-Valcroze a donné libre cours à un certain esthétisme, nullement déplaisant mais un peu court…

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