La mort en direct

J’irai pleurer sous la pluie.

Bertrand Tavernier ne fait pas l’unanimité chez les amoureux du cinéma français et – moi qui l’aime bien – je trouve qu’il est parfois bien décevant et tout à fait à côté de la plaque. Comment a-t-il pu, quelques années après Que la fête commence et Le juge et l’assassin et un an seulement avant ce qui est sans doute son meilleur film, Coup de torchon, commettre cette absurdité ennuyeuse ? La mort en direct est long, mais pire encore, languissant, ennuyeux, mal fichu, mal joué, mal dialogué, mal tout ce que l’on veut.

De fait on pouvait espérer que ce regard aigu sur les dérives prévisibles de la société du spectacle puisse donner un film solide. Quelque chose d’étayé sur la fascination voyeuriste universelle, sur la fascination crasseuse du monde pour le fait divers. Et là, il n’y a pas à discuter : comme il est dit tout à fait bien dans le film : La mort nous intimide, c’est la nouvelle pornographie ; on ne cache plus les sexes, mais les mourants. C’est aussi exact que déprimant : le spectacle de la mort, à partir du moment où on ne veut plus le voir dans son intimité, devient absolument spectaculaire.

C’est là-dessus que s’assied La mort en direct : dans un monde à peine futur, qui ressemble comme deux gouttes d’eau au nôtre, mais où la maladie a presque été éradiquée, il est délicieux de voir montrer à la télévision les derniers jours d’une malade. Les balbutiements des derniers jours et, avec un peu de chance, l’agonie vécue à la minute près.

L’idée est intéressante, puisqu’elle s’appuie sur la déferlante que nous pouvons tous constater sur les myriades de chaînes télévisées et sur les ramifications invraisemblables des prétendus réseaux sociaux. Chacun a droit à sa propre exhibition et, comme disait Andy Warhol à son quart d’heure de célébrité. On n’est rien, mais lorsqu’on souffre et, mieux encore, lorsqu’on meurt, on fait de la tragédie de sa vie un destin (et ceci est d’André Malraux). Partant de si hautes bases, il faut disposer d’un certain souffle et, pour ainsi dire, d’un souffle certain.

Et malheureusement, sur de si bienvenues prémisses, le film s’engloutit dans une médiocrité totale, dans une histoire embrouillée, ennuyeuse, languissante, trop longuement contée (plus de deux heures !) qui, à aucun moment ne pose véritablement les bonnes questions.

Une jolie femme, Katherine Mortenhoe (Romy Schneider), qui écrit avec un certain succès des romans de gare, qu’elle élabore avec le concours contraignant d’une machine omnisciente (et surtout adaptée aux orientations du public, fort gage de succès, donc) apprend qu’elle est atteinte d’une maladie irrémissible, inguérissable, mortelle à très court terme. Les bouleversements amoureux de sa vie ont fait qu’elle ne tient pas plus que ça à prolonger son existence. Pourtant elle refuse d’être filmée pendant ses derniers jours par la chaîne de télévision dirigée par Vincent Ferriman (Harry Dean Stanton) qui lui propose un gros magot. La chaîne ne se résout pas à ce refus et charge un filmeur, Roddy (Harvey Keitel) de suivre Katherine sans la lâcher d’un pouce. Détails adjacents : la jeune femme n’est nullement malade et Roddy a été greffé d’une caméra dans l’œil, qui lui permet de transmettre partout ce qu’il voit.

C’est là que le film commence à déconner gravement. Je ne sais si le roman de science-fiction dont il est adapté parvenait à être plus convaincant et mieux maîtrisé, mais là on part dans une sorte de capharnaüm ridicule que rien ne peut sauver : on assiste à un naufrage accablant d’acteurs de qualité – au demeurant laidement filmés : Romy Schneider, fripée, parvient même à être terne ! – dans une histoire invraisemblable et mal fichue.

Qu’est-ce qui peut empêcher de mettre un zéro pointé à cette catastrophe industrielle ? Eh bien précisément, le filmage de ces quartiers pourrissants, dévastés par la désindustrialisation qui sont à Glasgow, mixture entre sévères bâtiments noirs de suie de la gloire usinière de la Grande-Bretagne et friches dévastées, déglinguées. Et puis (mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile au cinéma) d’assez beaux paysages verdoyants.

Ratage presque absolu, terriblement ennuyeux. D’ailleurs on a l’impression, au fur et à mesure que le film s’avance, que Bertrand Tavernier en a conscience. Ce qui est tout de même un peu gênant.

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