La peau douce

Un Truffaut d’excellence.

Si l’on en croit Serge Toubiana, qui intervient en préambule sur le DVD,  La peau douce a été, à sa sortie, un échec public et critique. On se demande bien pourquoi, tant cette histoire triste, simple et prenante, interprétée à la perfection par Françoise Dorléac et Jean Desailly avait tout pour séduire dès 1964. Qui en contesterait aujourd’hui l’extrême qualité ?L’histoire a été écrite, paraît-il, en quelques semaines, rassemblant les fils ténus et disparates de bribes d’expériences vécues par Truffaut ou ses amis, d’une affaire criminelle qui avait défrayé la chronique, et de la pure fiction. On ne dirait pas que ce soit aussi composite tant il y a de souplesse et d’élégance, tant de véracité et de cohérence dans ce récit mauve et gris de deux fragilités qui se rencontrent par une suite de hasards rares, mais en rien invraisemblables et qui vont cahin-caha vers une fin douloureuse. Je regrette simplement un peu le côté emphatique, théâtral de l’assassinat terminal par la femme trompée (Nelly Benedetti), qui aurait pu être moins inutilement spectaculaire, voire ne pas intervenir, le gâchis des vies menées par les trois personnages principaux étant déjà suffisant.

Cette réserve justifie que je ne mette pas la note maximale à un film qui, sans cet artifice de construction, ne serait pas loin, à mes yeux, du chef-d’œuvre. La première demi-heure, la rencontre de Pierre et de Nicole, les balbutiements de leur histoire, sa singularité et son évidence est une parfaite réussite ; dans le cadre assez lisse de leurs vies arrivent l’anxiété devant le téléphone qu’on ne décroche pas, les énervements, les impatiences, les bouderies, les mensonges, les excuses douteuses… et aussi le côté minable des maisons de rendez-vous, si huppées qu’elles puissent être, la volonté des amants de ne pas se laisser gagner par la trivialité des amours clandestines, et moins encore par l’usure du temps.

Et tout autant l’épisode pénible, énervant, insupportable, de la conférence que donne Pierre à Reims, où, par vergogne, par crainte d’égratigner sa réputation, son statut social, il laisse Nicole désemparée errer dans la ville est également superbe. Parfaite illustration du mot de François Mauriac : Une ville de province, c’est un désert sans solitude. L’atmosphère du dîner préalable à la conférence fait aussi songer au repas de notables subi par Michel Mortez (Jean Rochefort) dans Tandem ; il ne m’étonnerait pas plus que ça que Patrice Leconte soit allé trouver dans La peau douce son inspiration.

Même si les interventions de Nelly Benedetti (l’épouse trompée) et de Daniel Ceccaldi (le vieux camarade empoisonnant) sont plutôt réussies, le film tourne presque exclusivement autour de Françoise Dorléac et de Jean Desailly ; il n’est peut-être pas abusif d’écrire qu’ils ont trouvé dans La peau douce le rôle de leur vie, lui parce qu’il a largement privilégié le théâtre au cinéma, elle parce que son beau destin s’arrêtera sous une pluie battante de juin 67 dans une bretelle d’autoroute…

Le visage aux traits réguliers un peu empâtés, un peu mous, de Desailly convient parfaitement à ce Pierre Lachenay, intellectuel aisé et paisible qui connaît en quelques mois (ou quelques semaines) cette ivresse d’une passion folle, presque paralysante. Et elle, donc…! Dès que sa voix rauque résonne dans un microphone d’aéroport, dès qu’on la devine derrière un rideau échanger ses chaussures de vol contre des escarpins, on est sous le charme. Et ça ne cessera pas. Si Philippe de Broca avait fait éclater son côté solaire, mutin, séducteur, irrésistible dans L’Homme de Rio, François Truffaut lui permet de montrer sa pudeur, sa délicatesse, sa subtilité ; sa fragilité aussi.

Le cinéma français, 53 ans après, ne peut pas se consoler de sa mort…

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