La reine de Broadway

De la grande série.

Le film de Charles Vidor a connu, paraît-il, un immense succès critique et public. Il est vrai qu’il est sorti quelques mois avant la fin de la Guerre, au moment où tout le monde avait envie que le cauchemar soit terminé, d’oublier les horreurs du conflit, la crainte de voir disparaître mari, frère, parent, ami et l’espérance qu’on revienne à la tranquille situation d’auparavant. Certes, certes, on ne voit pas très bien comment on parviendrait à arranger les choses. Mais il est bien certain que les potentats de l’argent n’ont jamais eu qu’une crainte : celle que les braves gens comprennent qu’il n’y a absolument rien à faire devant l’horreur et que, après tout, il vaut mieux orienter les regards vers les fariboles du show-business.

La reine de Broadway n’est pas un film dépourvu de qualités, loin de là, mais assez souvent à côté de la plaque. Le scénario est d’une affligeante bêtise, à tout le moins d’une banalité ennuyeuse : le directeur d’un petit cabaret de Brooklyn, Danny Mc Guire (Gene Kelly) dirige parmi ses jolies filles et ses pépites une perle, Rusty Parker (Rita Hayworth) à qui il est fiancé. Celle-ci veut accéder à une plus grande notoriété ; et fortuitement elle tombe sous l’œil avisé du directeur du magazine ‘’Vanity’’, John Coudair (Otto Kruger). Coudair a jadis été très amoureux de Maribelle, la grand-mère de Rusty et ne s’est jamais vraiment consolé qu’elle ait fui le jour même de l’hyménée.

Rusty est séduite, éblouie, d’une certaine façon, émerveillée par ce qui lui est proposé par les magnats de Broadway de passer à la dimension supérieure, de quitter le cabaret modeste et limité pour arpenter les grandes scènes de Manhattan. Mais elle n’est pas tout à fait prête à quitter le couple qu’elle forme avec Danny/Kelly et même, d’une certaine façon, le trio qu’eux deux composent avec Genius (Phil Silvers), qui est le comique, la rondeur, le sourire de la petite troupe ; un peu comme le sera, plus tard Donald O’Connor dans Chantons sous la pluie aux côtés de Kelly encore et de Debbie Reynolds.

Seulement il y a une sorte de fatalité des évidences. Le public s’enflamme comme de l’étoupe pour la nouvelle cover-girl, se précipite au cabaret modeste de Danny et fait tant et plus que Rusty, grisée, se laisse séduire par les propositions de Noël Wheaton (Lee Bowman), directeur d’un grand music-hall de Broadway, de devenir la vedette d’un spectacle chatoyant qu’il construira autour d’elle. Voilà ce qui ne se refuse pas, n’est-ce pas ? malgré la jalousie et la mauvaise humeur du fiancé Danny.

On devine la suite ; la faiblesse de La reine de Broadway est la prévisibilité totale du scénario, qui ne présente pas le moindre mystère, n’ouvre pas la moindre piste ambiguë et en fin de compte n’a aucun intérêt. Tout est écrit d’emblée et tout entre dans les cases prévues.,

C’est bien dommage parce que, malgré une partition musicale plutôt insignifiante (pourtant écrite par Jérôme Kern), le spectacle est très réussi. On ne va pas s’étendre sur le génie de Gene Kelly, qui n’en était pourtant qu’à son sixième film ; mais on peut aussi être très séduit par la rondeur sympathique de Phil Silvers, le fidèle copain. Et surtout admirer le talent de danseuse de Rita Hayworth ; même si l’on sait que sa formation et ses débuts dans la troupe de son père lui avaient permis d’exprimer un talent extrême (notamment célébré par Fred Astaire) l’on pouvait ne pas imaginer qu’elle se situerait au niveau des plus grandes, Ginger Rogers ou Cyd Charisse. Elle a l’occasion de le montrer dans plusieurs séquences très réussies.

Pauvreté du scénario, insignifiance de la musique, mais numéros de music-hall très réussis et une séquence assez magique où Gene Kelly, accablé par l’infidélité de Rusty, dans une triste rue nocturne, dialogue avec son double, son hologramme (The alter égo dance). Mais enfin, c’est un peu comme avec Gilda du même Charles Vidor : très belle apparence, mais manque de substance. Disons que le scénario de Gilda était trop compliqué, celui de La reine de Broadway trop simple.

Au fait, qu’on ne s’inquiète pas (c’est bien la question, d’ailleurs) : le bel amour triomphera.

 

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