La vie est un miracle

Virevoltant, sublime !

Musulman bosniaque (c’est-à-dire classé parmi les Slaves islamisés au 15ème siècle par l’Empire Ottoman), Emir Kusturica, s’est converti à l’Orthodoxie et a rejoint la Serbie en 2005, un an après La vie est un miracle, moins, sans doute en référence à d’anciennes origines ethniques que pour marquer son désespoir de voir disparaître la Yougoslavie, mosaïque de peuples difficilement constituée au lendemain de la Première guerre mondiale et qu’il estimait, à tort ou à raison, comme un rempart utile contre les haines ancestrales.

Ce désespoir était déjà le sujet d’Underground, en 1995, fresque burlesque triste qui voyait la dissociation d’une utopie constructrice. La vie est un miracle est un film où transparaissent à la fois l’amertume et l’espérance. La leçon que les Occidentaux en pourraient tirer est que la pire des solutions est d’aller traîner des guêtres otaniennes étasuniennes dans des pays dont la complexité est très au delà de la pensée unique des stratèges de Washington.

Ceci posé, le film est admirable de verve, de musique et de couleurs.

La ménagerie habituelle de Kusturica y est omniprésente : dans les deux premières minutes, apparaissent un âne, des moutons, chevaux, oies, poules, chiens ; les ours sont là à la cinquième minute ; et à peine plus tard des souris, des dindons, des oiseaux… On y joue au football, on y boit de la slivovitz, on y trafique de tout et de rien : à tout bout de champ des orchestres de cuivres déferlent, les canailles respirent, littéralement, des rails de coke (pour se rendre compte de combien est exact ce littéralement, il faut regarder la séquence, effarante) et, par téléphone satellite, appellent d’invraisemblables numéros rose profond avant d’être explosés à coup de roquette. On y danse frénétiquement à la belle étoile, on chasse l’ours dans des étendues enneigées, on s’y repait de moelle de mouton directement curée dans l’os avec les doigts….

Joyeux capharnaüm ? Évidemment ! Folie furieuse triste et gaie, émouvante et grotesque, histoire d’amour improbable et presque massacrée, porteuse d’avenir. Tout cela avec une allure, un rythme trépidant, chaleureux, terriblement attachant.

Grand beau film toujours profond, jamais pesant, qui va à contre-courant des idées reçues, en Occident décérébré, sans mémoire et sans culture, porté par des acteurs en état de grâce aux patronymes inconnus et au talent remarquable, La vie est un miracle, malgré sa longueur (2h30) ne cesse d’éblouir par la grâce des images, la fraîcheur des sentiments, les lueurs d’espérance.

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