L’acrobate

La pluralité des mondes.

Ah non, c’est bien plus qu’un ratage, c’est un naufrage et pire encore une submersion dont personne ne se sort intact ! Quand j’écris personne, ça ne concerne évidemment pas les deuxièmes, troisièmes, quatrièmes couteaux, qui ne sont pas si mauvais que ça, qui se contentent de jouer pour venir percevoir leur cachet. Et on ne va pas les vouer aux gémonies pour ça, chacun devant payer sa pitance, son loyer et ses impôts.Mais le film n’existe que par et pour Fernandel. Ce qui se conçoit d’ailleurs, la star portant le film, suscitant l’intérêt et emplissant les salles. Personne n’est d’ailleurs obligé de chercher autre chose que du divertissement dans le spectacle cinématographique.

N’empêche que j’attendais tout de même un peu davantage de Jean Boyer, il est vrai capable du pire (La chaleur du sein, Le trou normand, Le chômeur de Clochemerle) comme du meilleur (Prends la route, Circonstances atténuantesNous irons à Paris).

D’autant que, pour réaliser cet Acrobate d’une grande nullité, Jean Boyer s’est entouré de complices qui ont du talent : Yves Mirande aux dialogues et Georges van Parys notamment. Et même que les seconds rôles ne manquent pas de talent et font partie du paysage du cinéma français de la belle époque, Jean TissierJean BrochardCharles Deschamps. Et que si Thérèse Dorny n’a pas beaucoup de caractère ni d’attraits, il y a une bien jolie infirmière, Gaby Wagner qui n’est pas désagréable à regarder.

Alors qu’est-ce qui s’est passé ? D’abord un scénario un peu bêta, écrit par le laborieux Jean Guitton (aucun rapport avec le grand théologien homonyme) qui a accumulé, des débuts du cinéma parlant jusqu’à la fin des années Cinquante, une quantité considérable de bêtises et nouilleries, souvent graveleuses au demeurant.

Voici la trame : le maître d’hôtel autoritaire et rigoureux d’un restaurant; embarqué au Commissariat à la suite d’une suite de péripéties insignifiantes, joue l’amnésie pour ne pas être embarqué définitivement. Proviendront de ces prémisses des développements aussi insignifiants qu’ennuyeux. Car c’est là la question : on veut bien, si bon public qu’on est, admettre toutes les bêtises, les aberrations, les stupidités, les invraisemblances, les niaiseries que pareille trame peut supporter ; encore faut-il qu’il y ait de la verve, du dynamisme, de la vigueur et que le réalisateur ne se complaise pas dans la banalité et le procédé. Alors que, naturellement, le sort de L’acrobate est prévisible et évident de la première à la dernière image, l’une et l’autre trop sagement filmées pour susciter le réveil de l’œil qui se ferme..

Et puis Fernandel ! Que ne pourrait-on dire de plus sur un acteur qui pouvait être immense et qui pouvait aussi, quelquefois, faire honte tant il se prostituait à n’importe qui et à n’importe quoi, saisi, sans doute, par une sorte de vertige où se mêlaient considérations économiques, fierté d’être tête d’affiche adulée des Français et incapacité quasiment structurelle à se percevoir comme autre chose qu’un gugusse rémunérateur ? Sans toujours lui tenir la bride suffisamment courte, PagnolDuvivierAutant-Lara sont parvenus (mais jamais tout à fait) à mettre en lisière l’excès de son tempérament. Mais la plupart des metteurs en scène avaient d’emblée intégré qu’ils ne réguleraient pas ce tempérament. C’est à peu près aussi ce qui est arrivé à Louis de Funès avec, en pire, l’évidence qu’il ne serait jamais la tête d’affiche d’aucun grand film.

Et donc lorsque le réalisateur, payé pour cela, laisse la bride sur le cou a sa vedette et se soucie du tiers comme du quart de la qualité et de la cohérence de son film, voilà ce que ça donne : une pochade aussi ridicule qu’ennuyeuse où la star en fait plus que des tonnes, en donnant la pire image de lui-même qu’il lui est possible de donner.

Scénario idiot, vedette aussi souvent excessive qu’elle peut être, absence totale d’arrière-plans, que demander et de penser de pire ?

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