L’alibi

Belle atmosphère.

Il ne faut pas du tout entrer dans l’intrigue policière, qui est à la limite de l’invraisemblable et qui n’offre pas beaucoup d’intérêt. L’alibi dont il s’agit et qui donne son titre au film est un procédé narratif cousu de fil blanc (j’admets que mon image est hardie et très excessive).

Une riche canaille, dont on saura, par allusions, le passé criminel aux États-Unis, est devenue, à Paris, artiste de music-hall sous le nom de professeur Winckler (Erich von Stroheim) ; un soir de spectacle, un trouble assistant (Roger Blin) lui indique que Gordon (Philippe Richard), son ennemi juré, qui lui a jadis, Outre-Atlantique, pris sa femme et sa fortune, est dans la salle. Gordon s’enfuit mais Winckler le tue lors d’une poursuite en auto. Il a besoin d’un alibi pour sa soirée meurtrière : il le trouve auprès d’Hélène (Jany Holt), entraîneuse désargentée dans le cabaret où il exerce son numéro de télépathie. Le commissaire Calas (Louis Jouvet), d’emblée convaincu de la culpabilité de Winckler parviendra à démonter ma machination de l’assassin en envoyant auprès d’Hélène l’inspecteur André Laurent (Albert Préjean) qui jouera au soupirant pour lui arracher la vérité puis se prendra à son propre jeu. Les deux héros convoleront.

movie_callout_imageTout ce fatras n’a aucune importance et aucun intérêt ; il y aurait assurément beaucoup à fouiller dans le passé de Winckler et dans la fascination qu’il exerce sur ses complices (Roger Blin et Fun-Sen), qui lui paraissent soumis au delà du raisonnable.

Ce qui en a davantage, c’est le regard documentaire posé sur les boîtes de nuit d’avant-guerre, la vie des noceurs et des entraîneuses, la sagesse des nudités cabaretières à prétention artistique, le charme des orchestres de jazz, l’esprit des numéros de music-hall. Et, naturellement, la confrontation entre les deux admirables monstres sacrés, Jouvet et von Stroheim, l’un et l’autre corsetés dans leurs personnages. Saluer aussi le regard narquois de Margo Lion que je n’ai jamais vu aussi excellente.

01300000336597123601310246587_sEt puis les dialogues de Marcel Achard qui portent à incandescence cette confrontation. Il y a un numéro de grande voltige où Calas/Jouvet est contraint de relâcher Winckler/von Stroheim, apparemment innocenté par le témoignage-alibi d’Hélène/Jany Holt.

  • (Jouvet) Cette personne a confirmé vos dires, votre alibi a été reconnu exact.
  • (von Stroheim) Je suis très…
  • Content ?
  • Non, pas content ; je suis très…
  • Soulagé ?
  • Non, je ne suis pas soulagé ; je suis très…
  • Habile !
  • Vous ne m’aidez pas… heureusement, j’ai mon dictionnaire ; vous permettez ? (…) je suis très… désolé, c’est ça : désolé
  • Vous ne me ferez jamais croire ça…

Qui n’a pas entendu ce dialogue manque le très grand numéro de deux immenses comédiens. Et rien que pour ça L’alibi, si imparfait qu’il est, a bien des titres à être regardé.

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