Le beau Serge

Fantasia chez les ploucs.

Le scénario, d’une très grande banalité est évidemment à oublier, tant il accumule les poncifs sur l’ami de naguère qui, à son retour au pays, retrouve son camarade déchu et lamentable et tente de le sortir de sa mouise. On a sur ce point continuellement l’impression que le débutant Claude Chabrol, dont c’est le premier film (ce qui n’est pas une critique, évidemment) cherche et se cherche en ne sachant pas trop comment il veut aller où il veut aller. Il y a des qualités, assurément, mais lorsqu’on songe que le film est le premier en date de la Nouvelle vague et qu’il a reçu le Prix Jean Vigo, on ne va porter si haut la flamberge.

Ce qu’il y a de meilleur, à mes yeux, dans Le beau Serge, c’est l’écrasante, confondante, accablante médiocrité de la campagne. Sardent, bourg minable, crasseux, désespérant du plus moche de tous les départements français, la si bien nommée Creuse, le département désolant, le plus âgé de France, froid, humide et inhospitalier. Lorsque Claude Chabrol qui y a passé une partie de son enfance en filme les ruelles, Sardent est encore un gros village rural ; les enfants y sont encore assez nombreux pour faire une joyeuse troupe à la sortie d’école et la commune compte encore un médecin, un curé, quelques commerces. Mais que tout cela est glaçant !

Revient dans cette affreuse solitude trop peuplée de bigotes et d’ivrognes, François (Jean-Claude Brialy), poitrinaire issu de la toute petite bourgeoisie du patelin, qui se propose de se reposer en passant l’hiver dans la boueuse Marche. Curieuse idée, sans doute empanachée de l’idée de retrouver ses souvenirs d’enfance et les quelques copains de rapine et de bamboche qu’il s’est fait jadis. Ermitage au parcimonieux hôtel-restaurant du pays, tenu par Mme Chaumier (Jeanne Pérez, moins cafarde qu’on aurait pu le croire). Retrouvailles stupéfaites, après douze années, avec le meilleur ami de jeunesse, Serge (Gérard Blain), encafouiné dans l’alcool et le haine de soi.

C’est à peu près tout, même si l’on ajoute à l’intrigue – minimale – l’existence de Marie (Bernadette Lafont), la fille facile du coin, qui couche avec à peu près tout le monde, y compris son père nourricier, Glomaud (Edmond Beauchamp), avec Serge, qui est marié avec sa sœur Yvonne (Michèle Méritz) et naturellement avec le beau et urbain François. On peut voir là ce qui donnera dix ans plus tard, en 1969, La fiancée du pirate de Nelly Kaplan : moins la fille libre, libérée ou libertine que la fille qui se donne parce qu’elle ne possède que ça à donner et qu’elle ne cherche, précisément, qu’à donner.

Il y a dans Le beau Serge une très grande pesanteur : ciel gris de l’hiver creusois, chemins boueux, sentiers pourrissants, eaux mortes, ruelles désertes, façades austères. Et même lorsque le film s’en va du côté du bal de village, amoncellement des litres de vin rouge que l’on porte à intervalles réguliers aux musiciens de l’orchestre. Au regard de tout cet enfermement, l’intrigue n’a vraiment aucune importance et on peut penser que Claude Chabrol ne l’a bâtie que parce qu’il fallait en écrire une, à quoi il ne s’intéresse pas vraiment. Ce qui le fait filmer, c’est l’accumulation des non-dits, des incestes vraisemblables, de la sourde grisaille des familles, des litres de vins ingurgités pour supporter le terrifiant ennui du village, de la déchéance et du mal-être. Vous vivez comme des animaux ! lance Serge… et même le curé du village (Claude Cerval) en a marre de ses paroissiens. Rien de bien nouveau : dans La Terre, 15ème volume des Rougon-Macquart (qui en comptent 20), Émile Zola décrit avec accablement l’horreur campagnarde, si loin de la vision pétainiste et ripolinée que nous en avons.

Bon. C’est un film absolument déprimant. Désolant. Et la fin – terriblement niaise et sans doute mise là pour des raisons de pure convenance – n’y change rien.

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