Le bonheur est dans le pré

Histoire d’oies.

Avec Le bonheur est dans le préÉtienne Chatiliez, réalisateur publicitaire qui avait fait une irruption tonitruante au cinéma avec l’excellent La vie est un long fleuve tranquille et le presque aussi bon Tatie Danielle, films grinçants, narquois, intelligents, drôles comme tout, qui renversaient les vaches sacrées de la bien-pensance, engageait une longue dégringolade. Et même une dégringolade stupéfiante dans l’intensité et la profondeur pour parvenir à l’abomination absolue d’Agathe Cléry.

 

Mais n’allons pas si vite : après ses deux premières réalisations, on attendait d’un pied ferme et d’un sourire complice le troisième opus, d’autant que la présence au générique de Michel Serrault prédisposait plutôt favorablement et que la mention d’Eddy Mitchell qui avait montré quelques belles qualités (notamment dans Coup de torchon, où il était remarquable), celle de Sabine Azéma, qui n’est pas mauvaise lorsqu’elle peut s’échapper d’un Alain Resnais et de Carmen Maura, qu’on a souvent vu intéressante (tiens, par exemple, en Anne d’Autriche dans Louis enfant roi de Roger Planchon), que toute cette distribution, donc, prédisposait plutôt favorablement.

Et de fait, ça ne commence pas mal, cette histoire d’un petit patron franc-comtois dont les ateliers fabriquent du matériel sanitaire (et notamment de superbes cuvettes de W.C.), qui est accablé d’ennuis. Ennuis d’argent, ennuis professionnels, avec des ouvrières qui se mettent en grève, et surtout ennuis familiaux : petite merveille que ce foyer d’une parfaite aridité où Nicole (Sabine Azéma) l’épouse et Géraldine (Alexandra London) la fille du malheureux Francis Bergeade (Michel Serrault) mettent en coupe réglée leur mari et père, n’accordant pas même un regard à ses soucis. Le brave homme n’a d’autre ressource que la bonne vieille camaraderie virile, gourmande (et même gloutonne), alcoolisée de son pote Gérard (Eddy Mitchell), concessionnaire automobile et une des plus fines lames de la région, assidu auprès des dames et de la cuisine au beurre dans un ordre qu’on ne saurait pas vraiment trop préciser.

Tout cela est bel et bon et les observations cliniques sur le comportement des deux goules qui pompent avec un parfait égoïsme toute l’énergie du malheureux Francis offrent presque la même méchanceté que les deux films précédents de Chatiliez  ; malheureusement – et c’est là qu’on voit qu’on est trop souvent formaté par ses premières armes – une idée de base, si amusante qu’elle peut être ne suffit pas à faire un film et que, pour emplir l’espace réglementaire des 100 minutes on ne peut pas se contenter d’une bonne situation de départ. Parce que, qu’est-ce qu’on va en faire du Francis, une fois qu’abasourdi par ses soucis et l’indifférence hargneuse de ses deux mégères, il aura fait un malaise vagal et se sera effondré la tête la première dans son assiette de rognons au madère ? Il reste encore un bon paquet de film à tourner…

Alors on va chercher une idée un peu niaise et, en emberlificotant beaucoup les choses, on va opposer à la famille rancie et avide de Dôle (département du Doubs) une famille sereine, généreuse et aimante de Vic-Fezensac (département du Gers) que, par un tour de passe-passe imité de la défunte émission Perdu de vue, on fait surgir du passé. Se greffent là-dessus quelques petites intrigues adventices, notamment la prise de possession par le machiste Gérard/Mitchell de la mijaurée Nicole/Azéma, qui brosse bien le spectateur dans le sens du poil.

On ne peut pas dire qu’on a envie vraiment de quitter le film, mais, dès lors, on le regarde d’un oeil un peu indifférent, sachant bien à l’avance ce qui va se passer parce que tout est dans la bête logique des feuilletons de TF1, extrêmement moraux dans leur prétendue liberté de ton.

Chatiliez, hélas, clap de fin.

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