Le chemin du paradis

Qu’est ce qu’on attend pour être heureux ?

Il n’était pas rare, à l’époque, c’est à dire à l’âge d’or du briandisme et de la réconciliation avec l’Allemagne, que le même film fût tourné en deux versions, l’une et l’autre reprenant le même décor, la même anecdote, la même intrigue, la même musique et employant des acteurs pour la plus grande partie différents, chacun jouissant d’une notoriété dans son propre pays, ce qui permettait de diffuser l’œuvre au delà de sa zone de diffusion naturelle. Dans Le chemin du paradis (en allemand Die Drei von der Tankstelle), la vedette, c’est l’anglo-allemande Lilian Harvey qui acquit là une belle notoriété, brisée plus tard par l’évolution de la Germanie.

Le film de Wilhelm Thiele, assisté en France par Max de Vaucorbeil, est une de ces charmantes opérettes irradiantes de gaieté qui emplissaient les années Trente. Gaieté forcée, gaieté artificielle, gaieté superficielle, tout ce qu’on voudra, gaieté qui s’efforçait d’oublier le carnage de la Grande guerre et de ne pas voir la survenue de la crise économique, le raidissement des impérialismes et la faiblesse complice des démocraties. Mais enfin il y a beaucoup dans le cinéma (et aussi dans la chanson) de l’Entre-deux-guerres une sorte de griserie aussi absurde que compréhensible. Une gaieté qui n’a, au demeurant, rien à voir avec celle d’aujourd’hui, qui est toute construite de sarcasme et de dérision, une gaieté tout simplement gaie, qui sera celle des orchestres de Ray Ventura ou de Fred Adison ou des rengaines de Georges Milton (J’ai ma combine) ou d’Albert Préjean (Amusez-vous, foutez-vous de tout !).

Sur un scénario mince comme une libellule anorexique, voici un fort gentil film, fait pour amuser au samedi soir le populo bon enfant et le faire remonter dans son sixième sans ascenseur et avec le lavabo dans le couloir avec l’œil qui s’illumine. D’abord trois garçons sympathiques, jeunes décavés qui viennent de perdre leur fortune après une banqueroute. Il y a là Jean (René Lefèvre), Guy (Jacques Maury) et surtout Willy (Henri Garat), unis comme les doigts de la main. Vendant le seul bien qui leur reste, une belle Torpédo, ils décident, pour subsister, de créer une station-service, fréquentée bientôt par la ravissante et richissime Lilian Cossmann (Lilian Harvey) qui, coquette comme pas deux, enflamme tour à tour les cœurs des trois amis, chacun se croyant bénéficier de ses faveurs et se réjouissant d’une bonne fortune ignorée de ses amis.

On peut tout à fait passer sur les péripéties de l’intrigue, qui n’ont rien d’haletant, ni de surprenant, mais sont tout de même bien menées, allègres, banales mais amusantes. On n’aura pas de peine à vite comprendre que la charmante Lilian et Willy, le plus séduisant garçon du trio, après quelques algarades, trouveront les douceurs de l’hyménée et que, malgré cette entorse à l’amitié qui veut qu‘Avoir un bon copain, voilà c’qu’y a d’meilleur au monde, les trois amis poursuivront leur camaraderie et connaîtront succès et fortune.

Mais précisément, c’est avec cet Avoir un bon copain, si allègre et si rayonnant et le reste de la musique écrite par Werner Heymann (auteur, plus tard de cet Amusez-vous que j’évoquais plus avant) que Le chemin du paradis peut demeurer un peu dans les mémoires. Si je ne suis pas très convaincu par Tout est permis quand on rêve, un peu trop mièvre et passe-partout, je trouve le thème-titre Le chemin du paradis repris plusieurs fois sous des rythmes et selon des modalités différentes une véritable qualité ; je note d’ailleurs que, sous son titre allemand, Hallo, du süße Frau, fahr’ nicht allein, il a été plusieurs fois interprété et même récemment repris. Et la séquence finale- la parade, pourrait-on dire -, ses girls et sa joie est vraiment très réussie.

Je ne voudrais induire en erreur personne par la relative hauteur de ma note : pour apprécier Le chemin du paradis, il faut avoir des faiblesses pour ce cinéma à la fois naïf et roublard des années Trente, trouver les chemins de France aussi séduisants que dans Prends la route de Jean Boyer et convenir que Lilian Harvey était vraiment ravissante. On n’est pas obligé.

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