Le chômeur de Clochemerle

Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie.

Placer sous l’invocation de Blaise Pascal un film de l’ordre du Chômeur de Clochemerle peut paraître assez singulier et même tout à fait démesuré. Mais s’il est vrai que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, selon la formule hermétique d’Hermès Trismégiste et que – revenons à Pascal – les deux abîmes de l’infini et du néant se répondent en parallèle, le titre que je donne à ce message n’est pas du tout illégitime. Car la vacuité au cinéma a quelque chose de fascinant. C’est certes moins admirable que les trop rares chefs-d’œuvre et beaucoup plus fréquent, mais c’est tout autant sidérant.

 Naturellement j’exagère et le film de Jean Boyer ne mérite ni excès d’honneur (sûrement pas), ni totale indignité. Mais c’est d’une platitude telle qu’on peut concevoir d’une certaine façon en le regardant ce qu’est la vacuité absolue : ce n’est ni un navet – un truc terrifiant de vulgarité et de médiocrité qui exige qu’on s’indigne : les fables paysannes avec Jean Richard patoisant et grasseyant -, ni un nanard – une vieille chose désuète et pleine de charme nostalgique. C’est, littéralement, du rien du tout.

Clochemerle, d’abord, c’est un roman de Gabriel Chevallier paru en 1934, qui connut un succès si invraisemblable que le nom du village fictif est passé dans le langage courant. Un roman truculent, narquois, salace qui décrivait les querelles burlesques d’un village du Beaujolais à la suite de l’installation d’une pissotière. Adaptation de Pierre Chenal en 1948. Il y eut deux suites : Clochemerle Babylone (dont est tiré le film de Boyer) et Clochemerle-les-bains.

Bon. Une fois que j’ai écrit ça, je n’ai pas avancé dans la célébration du Chômeur. Il faut pourtant que je m’y attelle. Voilà : Baptistin (Fernandel) est le braconnier du patelin, reconnu et apprécié par tous et qui n’est pas en mauvaise intelligence avec le garde champêtre Beausoleil (Marcel Perès) avec qui il partage en toute hypocrisie lièvres, champignons, grives et perdreaux. Mais, grâce à l’appui du sénateur-maire Piéchut (Henri Vilbert), il devient officiellement chômeur indemnisé. Dans les belles années 50, le chômeur était denrée si rare qu’on pouvait faire rire (ou s’y essayer) avec ce statut. Et, de fait, les habitants du village s’indignent de cette indemnisation qui se fait sur leur dos (et sur leurs sous) et commencent à faire grise mine au brave Tistin qui va essayer de recouvrer leurs bonnes grâces en multipliant les coups de main et les aides prodigués.

S’entrelace là-dessus une graveleuse affaire avec la fille très publique du patelin, Zozotte (Ginette Leclerc), qui a un faible pour Tistin mais qui a surtout allumé les sens du bedeau Coiffenave (Rellys), prêt pour obtenir ses faveurs aux pires extrémités et à la damnation éternelle (en fait il se contente de piller les troncs de la paroisse pour réunir les sommes exigées par la cuisse légère).

Tout cela ne serait pas désagréable en soi si ce n’était tourné de façon plus que minimale par un Jean Boyer qu’on a connu tellement bien inspiré (Prends la routeCirconstances atténuantes, Nous irons à Paris) qu’on se désole de le voir décliner à un point pareil. Et il est vrai que la fin de sa carrière sera une longue dégringolade : comme c’est dommage, ces cinéastes qui ne savent pas que leur date-limite de fraîcheur est dépassée…

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