Le convoi sauvage

Des temps farouches.

Si j’étais le directeur de l’Office du Tourisme du coin où a été tourné Le convoi sauvage, je m’empresserais de faire acheter toutes les copies en circulation pour les détruire, de façon que personne ne soit dissuadé de venir découvrir le pays. Remarquez, on ne sait pas vraiment où le film se situe. Dans le Nord-Ouest des États-Unis de 1820, est-il dit, et à proximité du Missouri, affluent majeur du Mississippi, mais est-ce dans le Dakota du Nord ou du Sud, dans le Montana (ou encore ailleurs quelque part dans les Appalaches ?), ce qui fait beaucoup de paysages glaçants, rébarbatifs et plutôt très moches qui défilent tout au long du long périple conduit par le capitaine Henry (John Huston) et sa troupe de vauriens (de rascals, dit-on en anglais).

Conduite par un ancien marin de grande rudesse (qui fait évidemment songer au capitaine Achab de Moby Dick), l’expédition revient d’une expédition lointaine avec dans ses bagages des quantités de peaux de castors, de loutres et autres bêtes à précieuse fourrure. De façon plutôt incongrue les mules et mulets qui accompagnent la caravane tractent sur un chariot un lourd bateau qui est le dernier bâtiment commandé par le capitaine ; on songe un peu à la folie qui anime Fitzcarraldo (Klaus Kinski) dans le film de Werner Herzog. Et il y a sûrement une sorte de dimension biblique dans cette longue cohorte d’hommes qui marchent vers une sorte de Terre promise où la vente des peaux leur procurera la richesse.

Lors d’une battue, Zack Bass (Richard Harris), le compagnon préféré du Capitaine celui que sans le lui dire (nous sommes parmi des hommes rudes !), il considère comme un fils est presque déchiqueté par un ours sauvage (encore plus méchant que ceux que les fous écologistes réintroduisent aujourd’hui dans nos Pyrénées qui s’en étaient naguère heureusement débarrassés).

Il est mourant et le vague toubib de l’expédition (rebouteux ? barbier ? dentiste ?) ne peut guère que réduire la fracture de sa jambe et recoudre à vif ses plaies. Mais il n’y a aucune chance apparente que le pauvre homme puisse s’en sortir, d’autant que rôdent dans la contrée les sauvages Rickarees, dont une des gracieuses spécialités est d’empaler vivants les malheureux qui tombent entre leurs mains.

Abandonné par les deux compagnons qui étaient chargés de l’enterrer après sa mort prévue dans la nuit et qui ne se décide pas à venir, Zack reprend très graduellement vie ; incroyable farouche volonté qui le conduit à peu à peu se traîner vers un ruisseau pour boire, vers un bison dévoré vivant par des loups pour leur arracher un foie sanguinolent palpitant, à parvenir à allumer l’indispensable feu… et ainsi de suite.

Le film ne marque pas de temporalité précise : on voit néanmoins que de la fin d’un automne vert sale, brouillardeux, revêche, on passe à un hiver glacial, sali, de blizzard et de neige. Le réalisateur Richard Sarafian parvient en tout cas à faire ressentir au spectateur la puissance du froid et de l’humidité, dans la constante laideur de ces collines sans perspective et sans couleur.

Peut-on dire que les nombreux flash-backs qui montrent les souvenirs de Zack durant son parcours sont des éclaircies ? Sûrement non, puisqu’ils rappellent les gâchis de sa vie, la dureté de son enfance, la mort de sa femme, l’abandon de son fils… Et pas davantage d’éclaircies dans les séquences qui présentent la troupe des trappeurs continuant à ahaner pour trouver une rivière navigable qui les reconduira vers la Civilisation. Au milieu de ces hommes rudes plane l’ombre de Zack, la hantise de ce compagnon de misère abandonné dans la nature, aux loups et aux Indiens…

Peu de films de survie m’ont paru d’une tonalité aussi sombre, même si les images finales, dans la boue du Missouri (?) trop asséché pour qu’on y navigue et au milieu de cadavres peuvent laisser aux survivants un peu d’espérance. Mais vraiment très peu.

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