Le corbeau

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Mais non !

Mais non ! Le corbeau n’est pas la description clinique d’une petite ville française, vouée aux rancœurs, aux haines recuites, aux hypocrisies latentes, aux saletés dissimulées, aux bonnes consciences triomphantes, comme, paraît-il, voulaient le faire accroire les Allemands, chez eux, en se gaussant des vaincus, ou comme en tordaient le nez à la fois vichystes et résistants en refusant, les uns et les autres de voir la réalité : Le corbeau, c’est le portrait à la pointe fine, l’autopsie au scalpel de toutes les villes et de toutes les sociétés ! Simplement les prétextes, ou les lignes de force (et de faiblesse) changent, simplement met-on davantage le doigt sur ceci plutôt que sur cela…

Car qui pourrait dire que la même épidémie de graphomanie dénonciatrice survenant aujourd’hui au cœur d’une grande ville, de France ou d’ailleurs, ne susciterait pas la même hystérie aveugle ? Internet a remplacé la lettre anonyme, la rumeur s’exprime de façon plus moderne, c’est tout… Et les points d’attaque ne sont plus tant la morphinomanie ou les accidents médicaux, les coucheries des uns et des autres que… je ne sais pas, moi, les accusations d’inceste ou de pédophilie… Qu’est-ce que ça change ? La charge destructrice est identique…

h-20-2520237-1307778812Cela posé, qui a tant infléchi la carrière de ce film magnifique, qui a été une des causes de l’ostracisme idiot dont a souffert Clouzot à la Libération, comment ne pas s’extasier devant la superbe modernité glacée de son discours, devant le prodigieux foisonnement de ses personnages (en premier lieu Pierre Larquey, en docteur Vorzet d’apparence si bonhomme, et Noël Roquevert en Saillens, le maître d’école infirme, mais aussi Antoine Balpétré, Jean Brochard, Pierre Bertin, figures cocasses ou inquiétantes…Et Heléna Manson, l’infirmière suspecte, et Jeanne Fusier-Gir, la buraliste écœurante…

Pierre Fresnay habite là un de ses rôles les plus magnifiques, pète-sec et tendre à la fois, qui retrouve avec Denise (Ginette Leclerc, formidable, toute en nuances) amour et énergie…

Sur la seule scène, extraordinairement réussie dans la force métaphorique, de l’ampoule qui éclaire et assombrit, qui brûle lorsqu’on veut la saisir, Le corbeau mériterait de laisser une trace intense dans l’histoire du cinéma français…

D’ailleurs, pourquoi seulement français ?

C’est que Clouzot est immense…

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