Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant

R5UqXtaF0uBaroque, outré, cruel…superbe

Je ne sais pas trop pourquoi, il y a plus de vingt ans, à l’occasion d’une diffusion tardive, nocturne sur Canal+, je me suis laissé enchanter par ce film, vu et revu depuis lors et jamais complètement exploré…

Alors même que Meurtre dans un jardin anglais, dont le superbe titre m’avait séduit, m’était apparu assez creux et guindé, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant, à la résonance tout aussi belle, m’a d’emblée envoûté, séduit, troublé, agacé, embêté.

Pourtant, qu’est ce qu’est singulier, bizarre, outrancier, écœurant même souvent, à cent mille lieues de l’esprit français ! Qu’est-ce que c’est excentrique, baroque, sombre, fastueux, choquant, sans rien qui ressemble à ce qu’on connaît ! Ça donne envie d’attribuer aux peuples du Nord de drôles de tropismes et de relier dans le même nœud cinglé Peter Greenaway, David Lynch, Michael Haneke, Lars von Trier qui, j’en conviens, ne peuvent être assimilés les uns aux autres mais qui ont tous, pourtant, ce grain de folie, cette ubris que les Grecs dénonçaient comme un défaut majuscule, et qui pourtant les fascinait.

cookLe cuisinier est une sorte d’opéra baroque, qui réunit, grâce à la miraculeuse musique de Michael Nyman, le théâtre et le cinéma. Les rideaux s’ouvrent, et se fermeront sur une scène aux vastes perspectives, dont on ne sortira que fort peu, lorsque les amants se réfugieront dans le labyrinthe de la bibliothèque. Hors cela, c’est dans le cadre fastueux et inquiétant d’un restaurant immense que se passe l’action. Le restaurant est niché dans une sorte de zone industrielle glacée où les papiers volent au vent aigre, et où les chiens errants se disputent ordures et reliefs des repas. Mais dès que l’on passe la porte, on entre dans un domaine opulent : cuisine immense où, presque à perte de vue, des armées de marmitons et de commis épluchent, lavent, choisissent fruits et légumes, viandes et poissons, cuisine découverte par un travelling latéral vertigineux que parcourt Spica (Michael Gambon) – le voleur du titre – , suivi de Georgina (Helen Mirren), sa femme, à la beauté glacée, indifférente et de sa bande de voyous. Entrant ainsi par les coulisses, il marque son territoire, fait sentir au cuisinier (Richard Bohringer) qu’il est le propriétaire des lieux, qu’il peut s’y comporter en toute outrance et abjection.

Car Spica est un des êtres les plus abjects que le cinéma, qui n’en est pas avare, a présenté. Sauvage, brutal, cruel, veule,  impitoyable, pervers, il terrorise femme et complices ; mais il ne s’aperçoit pas, ou pas tout de suite que Georgina lui a échappé, happée par l’éclatante survenue de son désir pour Michael (Alan Howard), un bibliothécaire discret, tranquille, sans doute même un peu lâche avec qui elle va, chaque jour d’une semaine prodigieuse, faire l’amour sans prudence et sans retenue.

miniature.phpIl n’est pas utile de conter la suite et la fin, également révoltantes du film ; mais le talent de Greenaway est troublant et magnifique qui introduit le spectateur dans cette histoire de sperme et de mort. Virtuosité des mouvements de caméra, caméra qui virevolte autour des personnages ou qui les scrute dans de longues prises de vue latérales, parcourant l’espace et lui donnant une dimension onirique… Et aussi jeu exceptionnel sur les couleurs, dont chacune est signifiante : vert sage et affairé des cuisines, rouge violent, pompéien du restaurant, blanc immaculé des toilettes où la rencontre de Georgina et de Michael se noue (et que Spica ravagera, comprenant sa déconfiture), bleu violent, électrique, malsain des extérieurs… jusqu’à la teinte étrangement mordorée et pourtant sèche et crue de la bibliothèque où les amants se sont réfugiés, teinte et décor qui font songer aux peintures bourbeuses de Francis Bacon…

Histoire violente, méchante, démesurée, quelquefois insupportable. Et film magnifique, totalement prenant.

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