Le diable par la queue

« Je suis amoureuse, mais je ne sais pas de qui… »

Au fait, si vous recherchez un peu la signification et l’origine de l’expression Le diable par la queue, vous pouvez tomber sur celle ci-après, qui me semble correspondre assez bien au tour, à l’esprit et au déroulement du récit du film… Car qu’est-ce que ça peut pouvoir dire, Le diable par la queue au-delà du simple être dans le plus complet dénuement ? Eh bien, si l’on va un peu plus loin, on trouve que celui qui tire la queue du diable est quelque miséreux qui aurait recours au Malin afin que ce dernier exauce ses faveurs et qui refuserait de lui lâcher la queue tant qu’il n’aurait pas répondu à ses demandes. Et comme Philippe de Broca, le réalisateur, et Daniel Boulanger, le scénariste étaient des hommes à la fois extrêmement spirituels et extrêmement cultivés, il ne m’étonnerait pas – vraiment pas du tout – qu’ils aient choisi ce titre dans cette optique particulière.

Tiens, tiens… Si vous avez regardé le film, vous verrez assez vite de quoi je veux parler. Et que l’élégance du délicieux Philippe de Broca, narquois, spirituel, dix-huitièmiste (comme le fut Éric Rohmer) aura mis au-devant de la scène. Une sorte de thébaïde insouciante et farfelue où vivent quelques délicieux, attachants et insignifiants parasites, un château admirable et vermoulu, dont la toiture percée de partout s’affaisse, dont les chambres aux subtils et sublimes décors s’effritent, où le seul serviteur est un pauvre bossu fidèle. Il y a là, maître et seigneur (vous n’attendez pas que je mette ces titres et fonctions au féminin, j’espère ? sinon, déchantez et ne me lisez pas !), il y a donc là la marquise de Coustines (Madeleine Renaud) dont tout montre qu’elle a vécu une longue vie de volupté, de libertinage et d’insouciance.

La marquise règne sur une dèche heureuse, tranquille, souriante ; son admirable demeure est censée recevoir, en caractère, des voyageurs, des hôtes qui y trouveront tranquillité et beauté harmonieuse. Elle n’abrite guère qu’un pensionnaire, l’atrabilaire Patin (Claude Piéplu) et la smala familiale : Diane (Maria Schell) et Georges (Jean Rochefort), à la relation conjugale un peu perverse, l’un et l’autre très excités par les flirts qu’ils commettent au vu et au su de leur conjoint. Puis la délicieuse, lumineuse Amélie (Marthe Keller), toujours nu-pieds et blanc culottée, déjà divorcée à 19 ans et qui fait tourner en bourrique son amoureux Charly (Xavier Gelin), le petit garagiste du patelin, qui ne peut jamais résister à ses coquineries et à son charme. Et enfin la cousine Jeanne (Clotilde Joano), pianiste diaphane…

Philippe de Broca place et situe exactement son préambule, superbe de rythme et de gaieté. Pour que le château-hôtel reçoive un peu de clients, la démone Amélie/Keller poussée par grand-mère et mère va inciter son amoureux Charly, garagiste indélicat, à mettre en panne les voitures de ceux qui ont le malheur de s’arrêter à sa station-service. Puis à les conduire au château où ils seront pratiquement rackettés par la marquise. Tout cela est drôle, virevoltant, gentiment immoral, très amusant.

Le film se gâte un peu quand y intervient sa vedette (ce qui est plutôt embêtant, n’est-ce-pas ?), c’est-à-dire César (Yves Montand), brillante canaille, gangster délicieux qui séduit d’emblée toutes les femmes de la famille. On peut dire, d’abord, qu’il cabotine au-delà de ce qu’il a jamais cabotiné, ce qui n’est pas rien. Mais davantage, il impose une histoire finalement assez banale : il a cambriolé une banque avec deux complices (vraiment minables : Pierre Tornade et Jacques Balutin, dont les apparitions font baisser la température du film de plusieurs degrés) et il cherche à échapper aux recherches.

On a compris : toutes les femmes qui sont présentes au château, celles de la famille et aussi les visiteuses (Tanya Lopert, Janine Berdin), rameutées par le garagiste, c’est-à-dire envoyées là par ses sabotages habiles, sont fascinées par ce grand escogriffe séduisant et séducteur qui les conquiert, les charme, les émerveille, les fascine et avec qui elles sont à deux doigts de succomber.

On aura aussi compris que César ne cherche d’abord qu’une chose : c’est de quitter la belle thébaïde avec le million de francs qu’il a cambriolé ; on comprendra vite qu’il subira, comme d’autres, le charme languide, délicieux du château.Le film est gai, drôle, libertin ; l’érotisme y est omniprésent : non seulement la baronne Amélie/Keller est un vivant attentat à la pudeur, mais sa mère Diane/Schell, voire sa grand-mère/Renaud et sa cousine Jeanne/Joano sont délicieusement séduisantes : nous sommes dans une sorte de fête intelligente, élégante, virevoltante. Qui n’aimerait aller passer son existence dans ce château ?

D’ailleurs, à la fin, tout le monde, au mépris de l’honnêteté élémentaire, va désormais y vivre heureux… Ce qui est, au demeurant, une morale excellente.

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