Le Gorille a mordu l’Archevêque

Il n’y a plus d’après…

Bien que ses aventures littéraires comptent, paraît-il, plus de deux cents titres dus à la plume du singulier Antoine Dominique (pseudonyme de Dominique Ponchardier), Géo Paquet, dit Le Gorille n’a connu que trois incarnations cinématographiques, réparties entre deux acteurs. Avec Bernard Borderie, et au début de sa notoriété, en 1957, Lino Ventura a tourné Le Gorille vous salue bien ; mais il a vite compris que son immense talent ne gagnerait rien à s’enfermer dans la carapace d’un personnage récurrent trop typé. En 1959, avec le même réalisateur, c’est Roger Hanin, dont la carrière ne décollait pas qui obtient sa première tête d’affiche avec La valse du Gorille. Et qui repique au truc trois ans plus tard, cette fois avec le modeste Maurice Labro dans ce film au titre délicieux : Le Gorille a mordu l’Archevêque.

N’exagérons rien : les délices annoncées sont assez limitées ; au titre donc mais aussi au générique, au graphisme dynamique et visuellement réussi, accompagné, de surcroît, d’une musique (de Michel Magne) rythmée de madison (mais qui sait encore ce que c’est que cette danse dont la vogue n’a duré que quelques mois ?) interprétée par le groupe vocal extraordinaire des Double-Six (se reporter à Wikipédia pour qui ne connaît pas). Et aussi à la fascinante présence de Jean Le Poulain, qui fut avant tout un grand comédien de théâtre (et fut même, de 1979 à sa mort prématurée, à 63 ans, en 1986, Administrateur général de la Comédie française). Il n’a malheureusement pas trouvé au cinéma un rôle à la mesure de son immense talent et de son visage singulier ; dans son œil souvent méchant peuvent passer sévérité, perversité, cautèle, traîtrise, orgueil démesuré, outrances de toutes les espèces et un grand nombre d’autres sentiments aussi ambigus que surprenants.

Le scénario du Gorille a mordu l’Archevêque est assez convenu ; pour torpiller un projet de liaison ferroviaire entre le Maroc et le Soudan (le Mali d’aujourd’hui) qui désenclaverait la Mauritanie et lui permettrait d’exporter son riche minerai de fer, un consortium d’industriels dont les affaires concurrentes seraient de ce fait mises à bas confie à Lahurit (Jean Le Poulain), surnommé l’Archevêque parce qu’il porte toujours à l’annulaire une améthyste très épiscopale, la mission de faire capoter le projet. Pour éliminer le secrétaire général de la coopération franco-africaine (Fernand Fabre), un tueur habile est recruté. Mais la DST (Direction de la surveillance du territoire), dont fait partie le Gorille, veille. Dans les deux premiers opus de la série, elle était dirigée par Charles Vanel, ce qui donnait une certaine crédibilité à la chose. Dans le troisième, le patron du service est interprété par Pierre Dac ; mais que ceux qui apprécient le funambulesque créateur de L’os à moelle et du Schmiblick ne se réjouissent pas : dans ce rôle, Dac est plat comme une limande.

D’ailleurs, après les dix ou quinze premières minutes passées, qui voient se mettre en place l’intrigue, c’est le film tout entier qui est d’une certaine platitude, bien qu’il ne soit pas trop désagréable à considérer, si l’on n’est pas trop regardant. Mais ce n’est pas mal filmé par Maurice Labro, il y a quelques bonnes séquences dans un train, un de ces trains d’antan, à compartiments confortables de 1ère classe et à longs couloirs vides tellement photogéniques et potentiellement angoissants ; et puis les bagarres rappellent irrésistiblement aux nostalgiques les combats de catch retransmis en direct de la salle Wagram ou du Cirque d’hiver, commentés par la voix rocailleuse de Roger Couderc et où officiaient L’ange blanc et Le bourreau de Béthune. Et puis il y a un acteur sénégalais, James Campbell Badiane, à la souplesse et à l’élégance remarquables, qui interprète Ouemelli, un tueur particulièrement habile (on voit là que le politiquement correct n’avait pas encore sévi, interdisant aujourd’hui pratiquement qu’un Noir ne soit pas Président de quelque chose ou Général en chef). En revanche Roger Hanin, si habile bagarreur qu’il est, n’est pas bien convaincant, un peu guindé, un peu coincé.

C’est simpliste, assez sympathique, les agents secrets n’ont pas d’états d’âme et, à l’inverse des puants OSS 117 de Jean Dujardin ne méprisent ni ne ridiculisent leur pays et on peut facilement rouler dans Paris sans être enquiquiné par trottinettes, vélos et travaux hidalguiens. Voir la rue de Rivoli avec cinq files de véhicules m’a presque mis les larmes de regret aux yeux !

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