Le goût des autres

Le sourire d’Anne Alvaro…

C’est bien dommage qu’Agnès Jaoui soit tout, sauf une réalisatrice et qu’elle n’ait pas confié à un vrai metteur en scène le tournage d’un film qui, pour une fois, n’était pas l’adaptation d’une pièce de théâtre mais une œuvre originale intelligente, subtile, profonde, souvent émouvante et magnifiquement interprétée. Ça sent encore un peu trop les conventions de la scène (par exemple cette manie de faire se retrouver les protagonistes à tout bout de champ dans le même bistro ; je sais : c’est là que se nouent les intrigues, mais c’est tout de même artificiel et maladroit), mais ça s’échappe enfin, après Cuisine et dépendances et Un air de famille à la restriction de l’intrigue dans un cadre trop étroit. Et malheureusement, Agnès Jaoui ne retrouvera pas ensuite la qualité du Goût des autres en s’égarant dans des récits moins harmonieux, avec Comme une image et Parlez-moi de la pluie (je n’ai pas vu sa dernière production, Au bout du conte).

646--300-gusto1L’idée de la confrontation entre le self-made-man Castella (Jean-Pierre Bacri) et le monde de la culture subventionnée, si souvent parasitique a sûrement quelque chose à voir avec la liaison qui a longtemps uni à la ville Bacri et Agnès Jaoui et continue à les unir dans le travail, lui issu d’un milieu modeste, elle fille d’intellectuels aisés. Cette espèce de choc qui rend si incommunicables les univers est traité avec une charmante férocité, avec toute la complexité requise ; d’ailleurs l’incommunicabilité ne touche pas simplement les relations entre Castella et la bande des théâtreux qui le méprise puis en profite : elle touche aussi les rapports entre Castella et Weber (Xavier de Guillebon), le polytechnicien chargé d’améliorer la gestion de l’usine, Weber dont on est sûr qu’il aurait un mal dissemblable mais analogue à s’insérer dans la bande… Bande qui peut, en revanche incorporer, au moins superficiellement, Manie (Jaoui elle-même), serveuse de bar, mais qui fait partie du monde de la nuit…

Tout groupe humain est hérissé de codes sociaux, intégrés au cours des années de formation ou lentement assimilés au prix d’un apprentissage difficile mais dont la pratique, si elle n’est pas innée, sent toujours un peu l’effort. Dans Angelo qui est une sorte de brouillon du Hussard sur le toit, Jean Giono caractérise ainsi une botte d’escrime redoutable dont use son héros, Angelo Pardi : C’est un coup qui demande dix ans de pratique et trois siècles de désinvolture héréditaire. Édifiant et nullement faux.

Je m’écarte un peu du Goût des autres, mais à peine ; la fin du film où, après avoir joué Hedda Gabler, cette pièce terriblement barbante du terriblement barbant Ibsen la comédienne Clara Devaux (Anne Alvaro) cherche des yeux dans la salle Castella et s’illumine dès qu’elle l’aperçoit va plutôt à l’encontre de tout cela ; cette fin est-elle crédible, pour autant ? Je me le demande et je ne gagerais pas que si l’histoire était prolongée de quelques mois elle aurait cette fin douce…

Cela étant, il est amusant de noter que seule va rester sur le carreau Angélique, la détestable ridicule épouse décoratrice de Castella (Christiane Millet), à la fois sèche, niaise, obtuse et privée de toute chaleur ; celle-là qui, sentant que son mari la délaisse, pleurniche en voyant gambader son caniche et minaude qu‘il faudrait que tout le monde soit comme ça, dépourvu de méchanceté, d’hypocrisie, de violence et s’entend répondre par Bruno, le chauffeur (Alain Chabat), Alors, faut vivre à Disneyland…

 



								
				

			

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