Le guérisseur

Fluide glacial.

Inépuisable veine des récits, films, feuilletons à tonalité médicale. À dire vrai, il est beaucoup plus facile d’intéresser tout le monde au sort physique que chacun connaît qu’à des histoires de spéculation sur les taux usuraires : nous sommes tous, évidemment, à un moment ou un autre confrontés à la maladie et à la mort et nous connaissons tous ses mille et dix mille tracas, soucis ou drames qui ponctuent l’existence et qui finissent par constituer le plus clair des préoccupations des vieillards (dont je suis). Donc immense fertilité du genre au cinéma et large palette des sujets traités ; comme ça, de chic, je lance Le cas du docteur Laurent de Jean-Paul Le Chanois sur l’accouchement sans douleur ou le Journal d’une femme en blanc de Claude Autant-Lara sur la contraception.

Mais aussi, par exemple Un grand patron d’Yves Ciampi sur la vie hospitalière de ce qu’on appelait jadis un mandarin, c’est-à-dire sur le patron tout-puissant de service hospitalier d’un grand hôpital parisien. Et voilà que Le guérisseur, autre film d’Yves Ciampi raconte une orientation particulière de la médecine – ou plutôt celle de la patientèle – qui, rejetant la voie officielle, s’attache à tous les charlatans, magnétiseurs, thérapeutes, mages, thaumaturges, homéopathes, illuminés, etc. C’est que Ciampi, avant de rejoindre l’armée d’Afrique du général Leclerc en 1942 avait étudié la médecine et demeurait passionné par la fascination qu’elle exerce sur tout un chacun.

Donc Pierre Laurent (Jean Marais), médecin anonyme (je veux dire par là qu’il n’a sûrement pas réussi le concours de l’Internat de Paris), lassé de tirer la langue et de gagner trois francs, six sous à soigner des malades qui ne le paieront pas (nous sommes en 1953 : la Sécurité sociale n’a pas encore étendu son empire multiforme) s’est établi guérisseur à Dinan. Et ça marche du tonnerre, parce que – ce qui est exact – la plupart des malades ne souffrent que d’affections imaginaires ; ou plutôt d’une sorte de mal-être qui peut s’améliorer grandement lorsqu’un homme doté d’une certaine aura, d’une autorité naturelle, d’une puissance de conviction, calme les douleurs de dos, apaise les foies récalcitrants, les rhumatismes désagréables, les migraines envahissantes.

Il gagne beaucoup de sous, avec la complicité active de son assistant Robert (Pierre Mondy), mais il conserve un peu de sa déontologie et se refuse à traiter (ou à illusionner) les malades de tuberculose, de cancer, de syphilis. En sous-main, sans se démasquer, lorsqu’il est confronté à une véritable maladie et non à un vagabondage psychologique, il utilise les préconisations de la Faculté ou envoie ses patients à des médecins traditionnels. Mais la bêtise humaine est infinie et beaucoup préfèrent venir consulter un charlatan et recevoir des conseils de grande banalité : l’abstention d’alcool pour ceux qui souffrent de cirrhose du foie, par exemple.

Finalement on n’est pas loin de Knock : on pourrait gloser à l’envi sur le désir absolu d’être écouté et d’entendre des paroles empathiques. Et Monsieur Laurent, le guérisseur, de grande allure et de belle prestance, est le seigneur de la contrée, au grand dam de la médecine officielle, notamment de son ancien condisciple Jean Scheffer (Dieter Borsche avec la voix française exaspérante de Roger Rudel). Se greffe là-dessus une histoire amoureuse avec la jeune Isabelle Dancey (Danièle Delorme, au décolleté agréablement agressif) qui, bien que parisienne et apparemment évaporée, est persuadée que Pierre est doté d’un fluide particulier.

Le défaut, c’est que c’est un peu un film à thèse, extrêmement démonstratif. On comprend mal pourquoi André Turenne (Maurice Ronet, tout jeune et maigre comme un clou), violoniste de concert, qui ne paraît ni inculte, ni cinglé, refuse de faire soigner sa tuberculose par la Faculté et on s’amuse de voir Laurent/Marais se persuader peu à peu qu’il détient des pouvoirs magnétiques alors qu’il n’était nullement dupe, devant le concert de crédulités et d’adulations qu’il suscitait.

En d’autres termes, si le scénario est assez risible, le traitement de la question n’est pas désagréable. Et puis, comme dans tous les films de l’âge d’or du cinéma, il y a une kyrielle de seconds rôles qui étoffent, épaississent, structurent le film : Jean Galland, Henri Nassiet, Jean Murat… Et Renée Passeur, Marianne Oswald… Un spectacle solide, agréable à découvrir.

 

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