Le joli Mai

Paris nous appartient

On sait que Chris Marker est un cinéaste issu d’un milieu très bourgeois, qui a fait ses premières armes littéraires dans l’adulation pétainiste puis, au fil des temps et des modes (et de la puissance des camarillas) a glissé vers la gauche, puis l’extrême-gauche, par le biais du catholicisme social, du personnalisme, de l’éducation populaire et du tiers-mondisme. Il est l’auteur d’un des films ( un film ?) les plus atterrants qu’on puisse regarder, La jetée, qui bénéficie néanmoins d’une sorte de respectueuse aura de la part de braves gens qui n’imaginent pas qu’on puisse penser le pire d’un film prétendu expérimental. Il a aussi réalisé Le fond de l’air est rouge, sorte de compendium de toutes les billevesées et coquecigrues que les révolutionnaires germanopratins proposaient à l’envi à l’époque où la Gauche de gouvernement n’avait pas encore expérimenté son impuissance devant le rouleau-compresseur de la finance anonyme et vagabonde.

Le joli Mai, ce n’est pas celui de 1968, comme on pourrait le penser légèrement, à la lecture d’un palmarès si politiquement correct : c’est celui de 1962, présenté comme le premier printemps sans guerre, puisque, après les accords d’Évian de mars, la France n’est enfin plus en guerre (et que les Français contraints de quitter leur terre d’Algérie ne sont, aux yeux de Marker, que quantité très négligeable). Dans la première partie du film, qui s’intitule, sans qu’on sache trop pourquoi, Prière sur la Tour Eiffel, on va voir ce qu’est le Paris de ce printemps (au demeurant météorologiquement glacial, ce qui est rappelé maintes fois) en interrogeant au fil des rues, un peu au débotté, avec le mépris habituel des intellectuels de gauche, le brave populo qui ne songe qu’à gagner un peu plus de sous pour avoir une existence davantage pépère, en s’étonnant qu’il ne se passionne pas pour la marche du monde mais pour son propre bonheur, tenu alors pour égoïste et petit bourgeois.

On sent que Marker et ses camarades enverraient bien en camps de rééducation tous ces braves gens qui se réjouissent simplement d’être à peu près tranquilles dans un pays paisible ; et cela même si beaucoup sont des Gaulois rouspéteurs, jamais contents de leur sort, toujours prêts à trouver que tout va de plus mal en pire (et nous sommes – dois-je vraiment l’indiquer ? – dans un pays qui connaît une expansion fulgurante et qui ne compte pas 5% de chômeurs…). Rayonnement de la brave mère de famille qui est folle de joie de quitter le deux-pièces taudis où l’on vit à onze (les parents et les neuf enfants, dont un recueilli après la mort d’une belle-sœur…), confiance en l’avenir de ces gentils fiancés qui n’ont que vingt et un ans mais qui pensent très fort qu’ils vont s’aimer toute la vie, air narquois du bougnat de la rue Mouffetard qui fait tranquillement sa pelote avant de se retirer, sans doute, du côté d’Espalion…

On pourrait, à ce moment là, se croire dans un reportage des mémorables Cinq colonnes à la Une ou, mieux encore, dans un film document d’Agnès Varda, moins Cléo de 5 à 7 qu’un petit bijou comme L’opéra Mouffe ou plus encore Daguerreotypes ; c’est toutefois moins bien, parce que c’est trop verbeux, trop emphatique et que le commentaire, lu par Yves Montand se prend terriblement au sérieux. On apprécie quelques belles images du Paris d’avant, et si les monuments et immeubles sont encore du noir crasseux d’avant Malraux, les passants ont davantage d’allure, d’élégance et de tenue que ceux d’aujourd’hui ; et puis on peut encore rouler sans cyclistes intempestifs dans une ville qui se veut moderne. Mais la deuxième partie va commencer qui s’intitule Le retour de Fantômas qui va jeter sur un pays qui se porte extrêmement bien et a toutes raisons de se porter de mieux en mieux l’ombre terrible de la Vertu.

Cette deuxième partie n’a d’autre objectif que de démontrer que la prospérité apparente, le calme et la sérénité, l’espérance en l’avenir qui règnent en en France, aux temps conjugués du Général de Gaulle et de Georges Pompidou ne sont que d’abominables faux-semblants. Je m’énerverais inutilement à décrire une à une les petites ignominies commises par Chris Marker et mon grand âge supporte de moins en moins les aigreurs d’estomac consécutives à ces agacements et exaspérations divers. D’autant que ça n’en vaut pas la peine. Après tout si on veut voir le beau Paris de l’époque, autant aller du côté de vrais cinéastes : Varda, bien sûr, mais aussi Éric Rohmer, par exemple : Le signe du lion (1959), La boulangère de Monceau (1962), La carrière de Suzanne (1963), c’est à peu près la même époque que Le joli Mai, mais c’est infiniment mieux.

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