Le masque arraché

La fièvre dans le sang.

Que demander de plus à un film noir étasunien de 1952 que de partir à toute allure, de continuer sur le même tempo et d’accélérer encore dans son dernier tiers ? Tout cela en caractérisant bien les personnages, en montrant les méchants comme de vrais méchants, en exposant au premier plan les diverses traîtrises, en faisant monter les tensions et, in fine, en punissant les salauds grâce à une sorte de justice immanente ? Et ceci quoique la survivante malheureuse, objet des duperies et des embrouilles, reparte seule et désolée vers le reste d’une vie qu’elle passera sûrement avec au cœur une grande amertume ?

Donc la richissime Myra Hudson (Joan Crawford), en sus d’être l’héritière d’une grande fortune, est dotée d’un talent littéraire qui en a fait un auteur théâtral à succès. Cela étant, alors que les belles années de sa jeunesse commencent un peu à se détacher, elle apparaît seule, sans amour, sans flirt même. Son avocat, Steve Kearney (Bruce Bennett) est un ami sûr, a peut-être jadis été son amant (mais rien n’est dit en ce sens) et le fils de Kearney, Junior (Mike Connors) paraît s’intéresser davantage aux tendrons qu’aux femmes mûres.

Tout cela jusqu’à ce que Myra ressente une sorte de choc lors de l’audition, pour le rôle principal de sa prochaine pièce, de Lester Blaine (Jack Palance). Comme de juste en ce cas, par une sorte de prémonition inquiète, trop attirée instinctivement par lui, elle le récuse pour le rôle. Et naturellement, lorsqu’elle retrouve – apparemment par hasard – Lester dans le sleeping qui la reconduit de New-York à San Francisco, où elle réside, elle ne met pas longtemps à succomber au charme de ce mâle attentionné. Un bel homme, sensiblement plus jeune qu’elle et qui paraît lui vouer une admiration entière.

Ces prémisses ont été très bien menées par le réalisateur David Miller. Qui ne va pas longtemps laisser ignorer au spectateur que Lester pratique une stratégie habile de séduction, prenant peu à peu l’emprise sur Myra, se faisant désirer, espérer, attendre. Et épouser après avoir joué la comédie du comédien pauvre qui ne mérite pas la riche et talentueuse héritière.

Et pan ! Voilà que surgit une jolie fille, Irene Neves (Gloria Grahame), présentée comme un flirt de Junior Kearney mais qui est en fait l’ancienne maîtresse de Lester qui a flairé qu’il y a de la grosse galette à dévorer. Les deux amants renouent et commencent à songer à se débarrasser de l’encombrante Myra.

Comme il y a donc une justice immanente, les propos fort clairs qu’ils tiennent sur leur liaison et leur projet d’assassinat ont été fortuitement enregistrés par un dictaphone que Myra utilise. Et la pauvre malheureuse découvre tout aussi fortuitement que son mari ne peut pas la pifer, couche avec une de leurs relations et manigance de la faire passer l’arme à gauche.

Tout cela étant posé et à moins de conter dans le détail les péripéties qui vont suivre, je me tais : chacun veut la peau de l’autre parce que c’est une simple question de survie. Remarquable tension et maîtrise du suspense et de l’angoisse jusqu’à un final plein de brio haletant.

Certes les méchants sont punis. Mais Myra/Crawford,désormais seule et désillusionné ne s’en sort pas si bien que ça. Telle est la vie des hommes : quelques joies vite effacées par d’inoubliables chagrins (Marcel Pagnol). Des chagrins ; et plus encore la solitude.

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