Le pari

L’insoutenable légèreté de la volute.

Le 6 mars 1986, il y a donc un peu plus de 34 ans, j’ai écrasé pour toujours ma dernière cigarette. J’y avais quelque mérite puisque, aux derniers temps de ma tabagie, je fumais trois paquets de Gauloises sans filtre par jour. Et je ne négligeais pas les gros modules de Havane, Monte CristoRomeo y JuliettaRey del MundoHoyos de Monterrey et autres merveilles. Est-ce possible ? Comment peut-on faire ça ? va-t-on se demander. Mais bien sûr que c’est possible : il suffit de ne faire que ça, du matin au soir et d’allumer une cigarette au mégot rougeoyant de l’autre. D’ailleurs, si je n’avais pas arrêté, je pense que je serais passé sans trop d’efforts à quatre paquets quotidiens. Remarquez, je ne serais sans doute plus là pour vous le conter, la réalité médicale finissant par l’emporter et entraîner ad patres l’intoxiqué.

Car cette dégradante dépendance à la cigarette envahit vraiment toute l’existence et tous les moments de la journée (et de la nuit, d’ailleurs, aussi). Et je ne suis pas certain qu’on puisse vraiment sentir tout le suc du film de Didier Bourdon et Bernard Campan sans être vraiment passé par la géhenne de la dépendance au tabac. Car, sous une forme amusante, narquoise, joueuse et, pour autant, absolument exacte, tout y est. Les mensonges qu’on se donne à soi-même, les filouteries minables qu’on s’autorise, les conduites d’évitement, les tripatouillages honteux qui gouvernent dans le film Didier (Bourdon) et Bernard (Campan) l’un roulant des grumeaux de tabac dans du papier hygiénique, l’autre se grisant avec les odeurs suaves de la nicotine des paquets de sa femme (Isabel Otero).

Ce qui n’est pas mal vu du tout, dans Le pari, c’est aussi la fraternité intrinsèque des fumeurs, qui va très au delà des animosités personnelles. Même si le film en fait peut-être un peu trop en opposant la famille péteuse et arrogante du pharmacien Didier (qui doit voter Macron) à la famille tout autant péteuse et hargneuse de Bernard (qui doit voter Écolo), il y a un regard assez juste sur la réalité. La clope, la bouffée, la taffe appellent à la fraternisation, à l’ouverture complice, à la connivence.

Comme souvent l’idée de base, amusante et réussie, donne le meilleur de ses effets dans les commencements du film ; c’était déjà le cas dans Les trois frères et ce le sera aussi dans Les rois mages (mettons à part l’horreur assez misérable de L’Extra-terrestre). Mais naturellement, ça ne tient pas la distance et ça s’effiloche au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas, ça et là, des moments très drôles. Mais simplement que les Inconnus, à l’immense talent pour des sketches parodiques de quelques minutes, n’avaient pas la capacité de tenir la longue distance. D’autant que le film comique est sans doute le genre le plus ardu à réaliser.

N’empêche que si l’on veut bien se laisser porter par la facilité, ne pas être trop regardant pour certaines plaisanteries un peu grasses et plusieurs effets trop faciles et roublards, on passe un bien bon moment. On ne peut pas toujours en dire autant avec les films des années antérieures, avec les grasseyements de Jean Richard, les bafouillements de Darry Cowl, les bêlements de Bourvil, les roulements d’yeux de Paul Préboist, les caleçonnades des Charlots et la plupart des éructations de Louis de Funès

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