Le rayon vert

rayonvert1Portrait d’une exaspérante.

On peut vraiment se demander pourquoi le Rayon vert, cinquième ouvrage de la série des Comédies et proverbes, qui en compte six est aussi vilipendé, alors que, s’il déroge un peu aux pratiques de Rohmer (dialogues non plus très écrits mais largement improvisés, présence d’une musique hors champ) en dispense tous les extraordinaires charmes, pourtant. Il me semble qu’il y a dans ce film à intrigue minimale et à structure très lâche beaucoup de ce qui fait le génie du cinéaste : la capacité de capter l’air du temps, de donner à ses personnages inventés une réalité, une véracité qui font qu’on a l’impression de les avoir croisés, ou de pouvoir les croiser le lendemain.

De quoi s’agit-il ? Delphine (Marie Rivière), secrétaire sans éclat à Paris, doit commencer à se diriger vers la trentaine. À défaut d’être belle, elle est fraîche, possède un joli galbe et un charmant sourire. Elle n’arrive pas à se détacher d’une histoire sentimentale qui l’a meurtrie un peu et surtout l’a laissée seule. À quelques jours de ses vacances, la copine avec qui elle devait partir en Grèce la laisse tomber. Elle déprime, pleurniche, erre sans trop savoir que faire. D’autres copines, parmi qui la péremptoire Béatrice Romand, actrice rohmérienne s’il en est, tentent de la bousculer un peu. La gentille Françoise (Rosette de Pauline à la plage) l’emmène dans sa maison de famille, du côté de Cherbourg. Tout ceux qui sont déjà là y mettent du leur et Delphine essaye de faire bonne figure mais elle est isolée au milieu des couples stables ; et puis elle est végétarienne, mélancolique, elle n’aime pas la balançoire, elle n’aime pas les bateaux. Elle détone et surprend. Elle sent cela très bien, d’ailleurs et retourne à Paris.

 Un aller-retour dans la journée à La Plagne, où l’ombre de son amoureux enfui est encore trop présente. Fortuitement, on lui prête un appartement à Biarritz. Sur la plage, elle lie connaissance avec Léna (Carita), Suédoise aux mœurs très libres, pour qui les vacances sont une occasion de couchotter tant qu’on peut. La vertueuse Delphine s’enfuit encore. Mais dans la salle d’attente de la gare son regard croise celui de Vincent (Vincent Gauthier) jeune ébéniste qui l’emmène découvrir Saint Jean de Luz. Devant l’océan où le soleil se couche, les deux jeunes gens vont guetter le rayon vert, phénomène atmosphérique rare qui permet, selon la légende, de voir clair dans son cœur et dans celui des autres.

Miraculeusement, le rayon vert touche Delphine et Vincent. Il me semble que je n’ai plus peur, il me semble que je suis heureuse ; ces derniers mots, qui sont ceux de Cléo (Corinne Marchand) dans l’admirable film d’Agnès Varda pourraient tout autant s’appliquer à Delphine. Et une jolie fin heureuse, c’est bien agréable quelquefois.

 Comme on le voit, c’est tout simple. L’aboulie et les pleurnicheries de Delphine, (Marie Rivière), idéale et éternelle tête-à-claques, mal à l’aise partout sont extraordinairement semblables à ce que l’on rencontre dans la quotidienneté, et l’absence de tout évènement un peu notable, totalement conforme à la routine des jours.

Mais peut-être faut-il être sensible à la magie de Rohmer, avoir, en quelque sorte le virus de cette petite musique-là, qui ne raconte jamais d’histoire, qui est atonale, comme la plus grande partie des existences. Disant cela, je ne me permets pas de juger ceux qui ne trouvent là qu’affèteries et faux-semblants : de la même façon qu’on peut trouver emmerdant que quelqu’un vous raconte comment il s’endort et combien il a de la peine quand sa mère ne vient pas l’embrasser…

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