Le samouraÏ

 

Quintessence de Melville.

Et voilà qu’en 1967, l’art de Jean-Pierre Melville est à son sommet.

Générique du film qui s’ouvre sur la chambre salie où Delon, à la beauté hiératique, et presque extérieure fume, allongé sur son lit, dans la seule compagnie de son oiseau encagé, aussi encagé que lui. Pas une seule note de musique durant le générique du Samourai, elles ne viendront qu’après un long moment et ce sont celles de François de Roubaix, talent pur tôt disparu.

Tout est gris : costumes, murs de la chambre, chapeau au feutre caressé comme une lame par Delon, dans un tic obsédant, objets, voiture volée sous la pluie fine, jeu d’innombrables fausses clés, murs pouilleux d’une affreuse banlieue, garage sordide, garagiste véreux.

Neuf minutes et demie de film et le premier mot seulement est prononcé par Jane (Nathalie Delon) : Jeff ! : premier alibi ; partie de poker clandestine : second alibi. En moins de vingt minutes, le décor, les personnalités, leurs ramifications, tout est posé : magnifique !

On suit, fasciné, le déroulement d’une intrigue froide, qui importe infiniment moins que les situations, les atmosphères, les lieux, marges pelées du fin fond de Paris (la passerelle de la gare Masséna, aujourd’hui désaffectée) ou boîte de nuit à la fois clinquante et totalement polaire où, devant un public chic et âgé, joue Valérie (Cathy Rosier) dont on se demande bien quelles relations elle aura, jusqu’à la fin, avec le Tueur.

C’est d’ailleurs, à mes yeux, la fin du Samouraï qui en est la faiblesse (et sans doute parce qu’il faut bien finir !) : cette sorte de suicide volontaire de Jeff Costello, chargé d’abattre Valérie, qui la vise, fait mine de tirer – alors qu’il sait bien que son arme n’est plus chargée – et se fait descendre par la police qui le guettait et qu’il attendait. Est-ce que la terrifiante solitude de Costello, corseté dans son appartement minable, dans cette sorte d’autisme du professionnel glacial s’accommode de pitié, ou peut-être même de sentiment pour une jeune femme qui ne lui est pas grand chose ? C’est à voir…

Mais quelle maîtrise, quelle maestria de Melville ! Il y a, à peu près à la moitié du film, un plan superbe, où le jeu des caméras passe sans la moindre rupture de ton d’une pièce où les gangsters recherchent Jeff Costello à une pièce où les policiers le recherchent avec le même acharnement. Lui est blessé, seul.

Rien que pour ça, quel film !


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